Marie-Galante, « l’île aux 100 moulins »

Une île façonnée par la canne à sucre
Au XIXe siècle, alors que l’économie sucrière est à son apogée dans les Antilles françaises, Marie-Galante devient l’un des principaux centres de production de sucre brut de la région. Grâce à son relief plat et à ses sols riches, elle se prête parfaitement à la culture de la canne. En 1830, pas moins de 106 moulins à vent sont recensés sur l’île, chargés d’écraser la canne fraîche pour en extraire le jus, destiné à être transformé en sucre ou en rhum.
Ces moulins n’avaient rien d’anecdotiques : hauts de plusieurs mètres, construits en pierre de corail ou de basalte, ils étaient les pivots de l’économie locale. Contrairement à la Guadeloupe continentale, où l’on utilisait surtout la force hydraulique ou animale, Marie-Galante fit massivement appel à l’énergie éolienne. Le vent constant de l’île, notamment sur la côte est, en faisait un allié naturel. L’architecture des moulins s’en ressent : imposants, cylindriques, souvent dotés d’un mécanisme orientable à l’arrière, ils sont l’un des rares exemples caribéens d’une adaptation locale du modèle méditerranéen.
Des moulins emblématiques à découvrir
Aujourd’hui, 72 moulins sont encore visibles sur l’île, bien que beaucoup ne soient plus que des ruines envahies par la végétation. Certains ont toutefois fait l’objet de restaurations, à l’initiative de collectivités ou d’associations patrimoniales.
Parmi les plus emblématiques :
o Le moulin de Bézard, à Capesterre-de-Marie-Galante : restauré par le Conseil départemental, c’est l’un des rares à être entièrement reconstitué avec sa charpente tournante, ses ailes en bois et son mécanisme intérieur. Un petit musée attenant explique le fonctionnement de la sucrerie au XIXe siècle.
o Le moulin de Roussel-Trianon, situé à Grand-Bourg : aujourd’hui propriété privée, il trône au milieu des champs de canne, tel un vestige romantique de l’époque coloniale. Il est régulièrement photographié pour les campagnes touristiques de la région.
o Le moulin de Bellevue, près de Saint-Louis : dans un état de conservation remarquable, il est intégré au domaine de la distillerie Bellevue, qui produit l’un des rhums agricoles les plus réputés de l’île. Ce lien direct entre patrimoine et production actuelle offre une belle mise en valeur de l’histoire continue de la canne à sucre à Marie-Galante.
Les traces d’un monde disparu
Les moulins sont les derniers témoins d’un système économique et social aujourd’hui révolu. À l’époque coloniale, chaque moulin était intégré à une "habitation" - terme qui désignait l’exploitation agricole complète, composée des champs, d’une maison de maître, des bâtiments techniques (purgerie, cuves, fourneaux) et, jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848, de cases pour les travailleurs réduits en servitude.
Après l’abolition, puis avec la mécanisation et la centralisation industrielle du XXe siècle, les petites sucreries artisanales ont peu à peu disparu. Beaucoup de moulins furent laissés à l’abandon, d’autres démantelés pour en réutiliser les matériaux. Mais leur empreinte reste vivace, tant dans le paysage que dans la mémoire locale.
Un inventaire patrimonial partiel, mené sous l’égide de la Direction des Affaires Culturelles (DAC) de Guadeloupe, a recensé les principaux moulins et habitats sucriers encore identifiables. Toutefois, aucun de ces moulins ne fait actuellement l’objet d’un classement officiel au titre des Monuments Historiques, malgré leur valeur patrimoniale certaine.
Une tradition sucrière toujours vivante
Si les moulins à vent ont cessé de fonctionner, la canne à sucre, elle, est toujours bien présente sur l’île. Elle continue de structurer le paysage et l’économie locale. Trois distilleries perpétuent la tradition du rhum agricole à Marie-Galante : Bielle, Poisson (Père Labat) et Bellevue. Ces distilleries utilisent le pur jus de canne pressé dans les 24 heures suivant la coupe, et produisent notamment un rhum blanc à 59°, typique de l’île.
Ces rhums, régulièrement primés, sont devenus un véritable produit d’appel touristique. Certaines distilleries, comme Bellevue, proposent des circuits de visite qui intègrent aussi une approche du patrimoine bâti ancien. La présence d’un vieux moulin de pierre dans l’enceinte de l’exploitation témoigne de la continuité entre passé et présent.
Aujourd’hui encore, aucun circuit de visite officiel ne relie les différents moulins de l’île. Pourtant, le potentiel est réel. Plusieurs itinéraires à vélo ou en voiture permettent d’en découvrir certains, notamment autour de Capesterre, Murat, Saint-Louis ou Grand-Bourg. Le site du Habitation Murat, qui accueille l’écomusée de Marie-Galante, est l’un des rares à proposer un contenu explicatif sur l’histoire de l’économie sucrière et le rôle des moulins dans la production de sucre.
À mesure que Marie-Galante attire une clientèle plus curieuse de son histoire et de son authenticité, ce patrimoine unique pourrait devenir un axe fort du développement touristique local, en complément des plages, de la gastronomie et du rhum. Encore faut-il documenter, protéger et valoriser ces tours de pierre, avant qu’elles ne soient définitivement effacées par le temps.
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