Les conclusions de leur enquête, «la première en zone côtière méditerranéenne», ont surpris les océanographes, assure Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS à Villefranche-sur-Mer qui a dirigé l’étude publiée il y a quelques semaines dans la revue Ocean Science.
Chaque semaine, au départ du port de la Darse, des chercheurs du laboratoire montent à bord du Sagitta III, un bateau de 12 mètres du CNRS amarré juste à côté des locaux. "On teste 18 paramètres, qui sont ensuite mis à la disposition d’un réseau de scientifiques. La température est mesurée avec une sonde", explique Hortense de Lary, ingénieure chargée des prélèvements.
Le bateau s'arrête à quelques centaines de mètres des côtes, en plusieurs endroits, notamment au "point B", nom de code d’un spot étudié depuis 1957. Grâce à un treuil imposant, six grosses bouteilles en plastique de 6 et 12 litres, des "Niskin", servent à récupérer de l’eau de mer. Les contenants sont d’abord accrochés en palanquée sur un fil avant d’effectuer leur descente. Un membre de l'équipage envoie ensuite sur le fil de gros plombs, «les messagers», au bon moment, pour refermer les couvercles situés à des profondeurs comprises entre 0 et 75 mètres.
Les résultats des observations effectuées en rade de Villefranche peuvent être extrapolés à un secteur géographique beaucoup plus grand, indique Jean-Pierre Gattuso. "On pense que nos modèles sont représentatifs sur une zone comprenant l’Espagne, la France, la Corse, l’Italie et la Sardaigne", indique-t-il. Il souligne toutefois le faible nombre de stations d'analyse de l'acidification dans le monde. Elles sont moins de dix, dont une seule dans le Pacifique, en Nouvelle-Zélande, précise-t-il.
Grâce à ces prélèvements hebdomadaires, les scientifiques du CNRS et de l’Université Pierre-et-Marie-Curie Paris VI auxquels est rattaché le laboratoire de Villefranche-sur-Mer, ont pu établir que la température des eaux de surface avait augmenté de 0,7 degré entre 2007 et 2015, soit «beaucoup plus vite que dans l’océan global et côtier». Quant au PH, il a diminué de 0,0028 unité par an, soit une augmentation de l’acidité de près de 7% «qui correspond à un taux d’acidification les plus élevés relevés jusqu’à présent», selon une lettre d'information qui résume l'étude. "L’acidification de l’eau de mer a la même origine et cause que le réchauffement : le dioxyde de carbone (CO2) rejeté par les activités humaines », explique Jean-Pierre Gattuso. "Le quart de ce dioxyde de carbone émis par l’activité humaine est absorbé par les océans (…). C'est un polluant acide lorsqu’il se combine à l’eau de mer", ajoute-t-il.
Si la hausse globale de la température relevée peut éventuellement s’expliquer par une année 2015 extrêmement chaude, indique le chercheur, l’acidification rapide s’avère, elle, régulière.
Le cocktail chaleur et acidification menace les organismes planctoniques essentiels à la chaîne alimentaire des océans. Selon le scientifique, avec le réchauffement, les organismes marins ont tendance à se déplacer vers le Nord pour rester dans leur optimum de température. "Or, ici c’est un cul-de-sac. Il peut y avoir des disparitions d’espèces", indique-t-il. Il cite notamment la posidonie, une plante qui produit de l’oxygène et permet aux poissons de se reproduire. D’autres espèces, au contraire, font leur apparition. "On rencontre plus de mérous, de barracudas qu’avant, on arrive à avoir une Méditerranée qui devient presque subtropicale», constate Jean-Pierre Gattuso.
A court terme, l’accroissement de la température «crée des mortalités très importantes», en particulier pour les gorgones fortement touchées lors de récents pics de chaleur. L’année 2017, avec des relevés déjà très élevés pour la saison, est inquiétante, indique-t-il. L’acidification "sera un problème dans quelques décennies", dit Jean-Pierre Gattuso, notamment sur les organismes marins qui possèdent un squelette ou une coquille calcaire comme les huîtres, les petits mollusques, les gastéropodes et les coraux.
La moule commerciale de Méditerranée pourrait même être menacée de disparition en 2100 à en croire les conclusions d’autres chercheurs cités par le directeur de recherche. "Est-ce que l’activité mytilicole sera soutenable dans le futur avec l’environnement qui nous attend ?" se demande-t-il.