Surtourisme : peut-on encore sauver les destinations saturées ?

Par Figaronautisme.com

Depuis quelques années, de plus en plus de villes et de pays prennent des mesures pour contrer les effets du surtourisme. Réservations obligatoires, taxes, quotas, interdictions d'accès… les initiatives se multiplient. Mais ces dispositifs ont-ils permis d’atténuer les pressions sur les habitants et l’environnement ? Ont-ils réellement modifié la courbe d’une fréquentation mondiale toujours croissante ?

Une prise de conscience mondiale, tardive mais réelle

Venise, Barcelone, les Baléares, Bali ou encore l’île de Porquerolles : autant de lieux devenus emblématiques des effets négatifs du tourisme de masse. La foule y est si dense qu'elle menace l'intégrité des milieux naturels, mais aussi le bien-être des résidents. Le terme de "surtourisme" a fait irruption dans le débat public à partir de 2017, mais c’est surtout après la reprise post-Covid en 2022 qu’il s’est imposé comme une réalité urgente.

Certaines collectivités se dotent aujourd’hui d’outils inédits pour mieux comprendre les flux. Une start-up française, par exemple, a récemment mis au point un système utilisant la géolocalisation des smartphones pour analyser en temps réel les concentrations de visiteurs. L’objectif : adapter les politiques publiques en fonction de la pression humaine sur des zones écologiquement sensibles.

Mais comprendre les flux n’est qu’un premier pas. Pour contenir le surtourisme, les destinations doivent aussi affronter une difficulté politique : comment réduire l’affluence sans sacrifier une manne économique majeure ?

Des réponses multiples, souvent innovantes

Face à la saturation de son centre historique, Venise a mis en place en 2024 un système de réservation avec billet d'entrée pour les visiteurs à la journée, une première mondiale. Depuis le printemps 2025, cette mesure est étendue à 54 jours par an, avec une tarification incitative selon l’anticipation de la visite. Le QR code devient un sésame d’accès aux ponts de la ville.

En Espagne, Barcelone a fait le choix de la fiscalité. Depuis le début de l’année 2025, la taxe de séjour peut atteindre jusqu'à 15 euros par nuit dans les hôtels les plus luxueux. La Catalogne applique également des restrictions sur les groupes touristiques (25 personnes maximum), tandis que la ville interdit l’usage de haut-parleurs pour les visites guidées. Ces mesures visent à réduire la pression dans les quartiers historiques et sur les marchés très fréquentés comme celui de la Boqueria.

Dans l’archipel des Baléares, les tensions sont extrêmes. Palma de Majorque, Minorque, Ibiza... toutes sont confrontées à des records de fréquentation. Les conséquences sont multiples : inflation immobilière, congestion, incivilités, pollution. Le gouvernement régional a interdit la vente d’alcool en magasin après 21h30 dans certaines zones, envisagé un arrêt des nouvelles locations touristiques et limité le nombre de croisières.

Dans les Calanques, au sud de Marseille, la crique de Sugiton n’est accessible que sur réservation et dans la limite de 400 visiteurs par jour. Une expérimentation de piétonisation partielle de la route des Crêtes a aussi été lancée. Objectif : rendre le littoral plus "apaisé", selon la mairie de Marseille.

À l’autre bout du monde, le gouvernement thaïlandais a pris la décision, il y a plus d’une dizaine d’années déjà, de fermer l’accès à certains archipels du sud du pays, notamment les îles Similan et Surin. Cette mesure vise à stopper l’afflux touristique de mai à octobre, permettant ainsi aux coraux et aux espèces qui y vivent de se régénérer en paix.

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© JAIME REINA/AFP

Le ras-le-bol des habitants : entre indignation et espoir

Les réactions des populations locales se font de plus en plus entendre. En mai 2025, aux îles Canaries, plus de 12 000 manifestants ont exigé un changement de modèle. Les slogans « Les Canaries ne sont pas à vendre » ou « Ce n’est plus un paradis » ont marqué les esprits. Les revendications sont claires : gel des nouvelles constructions, régulation des loyers, protection de l’environnement. Le mouvement est porté par une plateforme citoyenne, alors que 40 % des actifs travaillent dans le tourisme.

En Indonésie, à Bali, la situation est emblématique. La surfréquentation de la zone sud, notamment Canggu, entraîne embouteillages, pollution, détérioration des plages et même assèchement des rivières. Le gouvernement a promis un moratoire sur les constructions hôtelières pour deux ans. Pourtant, dans le même temps, un second aéroport est en projet, faisant craindre une incohérence entre les intentions et les actes.

Les habitants, partagés entre besoin de revenus et préservation de leur cadre de vie, s’interrogent : peut-on encore redonner à ces territoires une identité qui ne soit pas exclusivement touristique ?

Des exemples inspirants, mais peu réplicables ?

Certaines destinations montrent qu’il est possible d’agir efficacement. La crique de Sugiton, à Marseille, est souvent citée comme un modèle de gestion. Depuis la mise en place du quota journalier, les problèmes d’érosion ont diminué, les services de secours sont moins sollicités et les visiteurs vivent une expérience plus sereine.

En Thaïlande, Maya Bay a rouvert avec un accès limité à la suite d’une fermeture de plus de trois ans. Les récifs coralliens, dévastés, ont pu être restaurés. Le succès est relatif : si la nature reprend ses droits, la pression reste forte sur les autres plages voisines.

Des résultats, oui... mais encore très partiels

Ces expériences, aussi innovantes soient-elles, peinent à faire système. La majorité des initiatives restent locales, isolées, et leur efficacité évolue selon la rigueur de leur application. Dans certains cas, les mesures prises sont contournées, pas appliquées, ou encore annulées sous la pression économique.

La réalité, c’est que peu de destinations peuvent aujourd’hui affirmer avoir fait reculer durablement le surtourisme. On observe des ajustements ponctuels, des déplacements de flux, mais rarement des transformations de fond.

Et pour cause : les causes structurelles persistent. Le modèle économique de nombreuses régions repose encore sur une fréquentation massive, saisonnière et souvent internationalisée. La diversification des activités reste marginale, et les politiques de développement durable, encore trop théoriques.

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© AdobeStock

Une transition à opérer, plus ambitieuse

Face à ce constat, les solutions ne manquent pas, mais elles impliquent un changement de cap. Taxer, limiter, interdire, réserver : ces leviers ne sont efficaces que s'ils s'insèrent dans une stratégie plus large. Cela suppose de repenser le tourisme non comme une fin en soi, mais comme un outil au service d’un territoire vivant.

Des "feuilles de route" sont en cours d'élaboration, comme aux Baléares, où un comité d’experts planche sur l’avenir du tourisme dans l’archipel. L'enjeu est de taille : comment garantir un accueil de qualité, sans dégrader les ressources et le tissu local ?

C'est aussi une question de gouvernance. La coopération entre États, régions et municipalités est essentielle, tout comme l'implication des résidents. Sans leur adhésion, aucune mesure ne peut être durable.

Les mesures anti-surtourisme se multiplient, mais leurs résultats restent limités. Il existe des avancées, parfois spectaculaires, mais elles ne changent pas encore la dynamique globale. Le défi ne se limite pas à contenir l'affluence, mais à redéfinir notre manière de voyager, de consommer les territoires, et de penser l’avenir des lieux que nous aimons visiter. La révolution touristique est en marche, mais son tempo reste à accélérer.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...