202 jours dans les eaux de l'Arctique
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Le voilier scientifique « Tara » est rentré à Lorient samedi 7 décembre, après sept mois de navigation autour du pôle Nord.
Lorient, la pointe nord de la péninsule scandinave, la Russie, l'extrême nord du Canada puis le Groenland. Depuis le départ de son port d'attache, le 19 mai dernier, le deux-mâts de 36 mètres a connu la rudesse et la beauté de l'Arctique en bouclant un tour complet de cet océan, sur près de 15 000 kilomètres. C'est la deuxième mission arctique de Tara après sa dérive de 500 jours en 2006, lorsque le bateau s'était laissé enserrer dans la banquise au nord de la Sibérie. Mais cette fois-ci, il était bien question de naviguer à travers les glaçons en formation pour prélever du plancton. Sur Tara, deux aventures se mêlent : l'expédition scientifique avec des stations de prélèvements jusqu'à 1 000 mètres de profondeur, mais aussi la navigation à la voile dans des conditions extrêmes.
Chaque jour, les marins traçaient leur route en fonction des cartes de glace élaborées grâce aux données satellites. Les conditions ont surpris les membres de l'expédition qui avaient encore en mémoire la fonte record de la banquise en 2012. Cette saison, cette même banquise affichait, à son plus bas niveau, à la mi-septembre, une superficie de plus 5 millions de km2 contre près de 3,5 millions l'année précédente. À la passerelle, les marins évoluaient parmi les icebergs, détachés de majestueux glaciers et parfois hôtes de jeunes ours polaires. Sans oublier les growlers, ces gros glaçons qui affleurent à peine à la surface de l'eau et sont donc considérés par les marins comme les plus traîtres des obstacles.
En arrivant au mythique passage du nord-ouest, une solide purée de pois a encore compliqué la donne. « Nous n'avons pas demandé d'aide pour franchir le passage, précise Martin Hertau, l'un des trois capitaines de l'expédition. Mais nous constations que la glace était de plus en plus présente. Un brise-glace canadien, libre de toute mission à ce moment-là, a donc choisi de nous ouvrir la voie. » Tara s'est extirpé du passage en sept heures. « On ne saura jamais combien de temps il nous aurait fallu pour nous en sortir seuls, explique Martin Hertau. Mais nous avons gagné un temps précieux. »
Mais ce ne sont pas les difficultés qui viennent spontanément à l'esprit des marins en touchant terre. Ils parlent surtout du privilège qu'ils ont ressenti face à un spectacle hors du temps. « L'atmosphère polaire est difficile à décrire, mais elle rend accro », assure le capitaine Martin Hertau. Le marin, qui a déjà connu plusieurs saisons dans le Grand Nord, sur de plus petits bateaux, évoque les lumières exceptionnelles, aussi bien le jour que la nuit avec les aurores boréales.
« Un bureau spectaculaire mais un peu froid »
À ses côtés, Daniel Cron, s'émerveille de paysages « proches des tableaux impressionnistes ». Il se souvient notamment du retour de la lumière après le passage du nord-ouest. Récompense du Grand Nord. « C'était un moment magique car nous étions à l'arrêt pour une station scientifique et la mer commençait à geler autour de nous, se souvient-il. Petit à petit, les ondulations se sont atténuées, jusqu'à se figer. » Le coucher puis le lever du soleil de cette station hors du temps font encore briller les yeux des deux marins, heureux d'avoir pu profiter d'un bureau, certes froid, mais tellement exceptionnel. « Il y avait cette lumière propre aux régions polaires avec le soleil très bas et des couleurs pastel, de rose à violacé. Nous étions seuls au monde. »
Un émerveillement trop court à leur goût mais comme ils le rappellent : « Ce n'était pas le moment de traîner en chemin ! » En amarrant leur bateau à Lorient, ce samedi 7 décembre, les marins ont bouclé une expédition scientifique commencée il y a quatre ans et menée sur toutes les mers du monde. Ils vont maintenant partir vers un soleil plus franc, celui de la Méditerranée, pour la prochaine mission de Tara.