
Sidney Gavignet, skipper de Musandam – Oman Sail, l’un des trois Multi70 inscrits au départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe en catégorie Ultime, est prêt pour le départ, ce dimanche. Avec une sérénité déconcertante, il entre petit à petit dans sa bulle.
Que représente pour vous la Route du Rhum ?
C’est d’abord une course rare, qui ne revient que tous les quatre ans, avec des scénarios abracadabrants à chaque fois et ce dès la première édition, avec ces 98 secondes entre Mike Birch et Michel Malinovsky. Et on le voit en ce moment à Saint-Malo, c’est aussi une course populaire. La Route du Rhum et le Vendée Globe sont les seules courses à pouvoir atteindre un public aussi nombreux. Et c’est très important, en tant que skipper, de pouvoir partager cette aventure avec le public.
Quelle est la première édition dont vous vous souvenez ?
Je dirais la victoire de Florence Arthaud en 1990. Avant, je connaissais La Route du Rhum dans les livres.
Votre première Route du Rhum en tant que skipper date de 2010 mais une avarie vous a forcé à l’abandon. Est-ce que vous avez un sentiment de revanche sur cette édition ?
Pas du tout. Mon aventure sur La Route du Rhum a effectivement commencé avec la précédente édition mais nous avons écrit beaucoup de chapitres avec mon sponsor depuis. Cette édition est une page de plus à tourner mais elle est entièrement différente. Et je sais qu’avec ma machine, cette année, ce sera déjà une victoire d’arriver de l’autre côté.
Vous avez annoncé que vous souhaitiez arrêter la course au large dans quatre ans donc cette édition devrait être votre dernière Route du Rhum. Est-ce que cela représente une pression particulière ?
Non, je n’ai pas de pression particulière. Mon projet va avancer dans les quatre ans à venir et se terminer avec Oman Sail. Cette Route du Rhum – qui est déjà une parenthèse particulière pour mon sponsor - sera donc ma dernière course au large en solitaire. Il n’y a aucune raison pour Oman Sail de se lancer dans une autre course au large en solitaire donc je ne ferai pas le prochain Vendée Globe.
Sur cette édition, la compétition est particulière dans votre classe face à des maxi-trimarans qui mesurent jusqu’à 40 mètres de long. Quelles sont vos ambitions ?
Oui, c’est très particulier car je pars face à des concurrents dont les bateaux font deux fois la taille du mien. Sur le papier, je n’ai aucune chance de les battre car la longueur est primordiale pour la vitesse. Finalement, le seul concurrent avec lequel je peux me mesurer à armes égales est Yann Eliès (Paprec Recyclage). Sébastien Josse dispose d’un bateau de la même taille que les nôtres mais il a été boosté donc il ne joue plus dans la même catégorie. Mais ce qui est primordial pour moi c’est de finir la course, de me sentir bien à bord… Et je ne suis pas à l’abri d’une place honorable.
C’est assez particulier pour un compétiteur
Non, le principe d’une course, même à armes égales, c’est de s’utiliser soi-même à son meilleur. La seule différence, dans notre cas, c’est qu’on ne joue pas sur l’aspect tactique mais plutôt sur la meilleure utilisation du temps qui correspond à notre bateau.
Lors de vos différents rendez-vous médias, on vous voit très ému lorsque vous parlez de votre bateau. Quel rapport entretenez-vous avec lui ?
Oui, rien que de vous en parler, cela me fait quelque chose. Et je ne sais pas vraiment pourquoi, c’est la première fois que j’ai ce rapport avec un bateau. Je dirais que nous formons un couple, comme avec un étalon sauvage. Le plus puissant c’est lui, c’est sûr, et je dois établir une relation de confiance. Je suis tout le temps à l’écoute des bruits, des sensations, je dois tenir compte de chacune de ses réactions.
A quel moment vous êtes-vous senti capable de le mener en solitaire ?
A la fin du Tour des îles britanniques (ses équipiers dormaient, NDLR), j’étais très fatigué et j’ai senti une grosse pression, j’ai commencé à penser que je n’étais pas capable de le mener en solitaire. Puis j’ai réalisé que j’étais surtout sur-toilé et j’ai compris que je pouvais me mettre énormément de pression seul. Alors, tout à coup, cela a cliqué dans ma tête. Je me suis dit : tu as quand même énormément d’expérience et tu auras l’entraînement que tu auras. Tu feras avec et sinon tu lèveras le pied.
Vous êtes clair, avec le public comme avec votre sponsor, sur le fait que votre bateau a 50% de chance de chavirer. Comment prépare-t-on une course en solitaire avec ces statistiques ?
C’est simplement une question de lucidité. Je pense avoir suffisamment d’expérience pour rester du bon côté des 50%. Dans la vie, on a tous des challenges qui nous dépassent, pour lesquels il faut prendre beaucoup de risques. Récemment, j’ai vu un documentaire sur un reporter de guerre et je me suis senti proche de sa conception du danger : il aborde le risque en totale connaissance et en sachant qu’on ne peut pas tout dominer. Donc il faut surtout travailler sur la lucidité, le calme, bien gérer la fatigue pour prendre les bonnes décisions et pour savoir lever le pied. C’est ça qui est sans doute le plus difficile. Je suis régatier, je n’ai fait que de la course au large pendant trente ans, j’ai été élevé comme ça. Et pourtant, il faut accepter de ne pas se faire prendre par la course si cela représente un trop gros danger.
Comment vous glissez-vous dans votre bulle de concentration avant la course ?
J’aime bien cette période qui précède le départ. J’ai besoin d’une routine très stricte avec des horaires pour mon équipe, pour les médias, pour le public, et que tout reste cadré. J’ai davantage mis l’accent sur la préparation mentale que sur le physique pour cette Route du Rhum. J’ai amené mon prof de yoga avec moi à Saint-Malo et nous partageons un appartement. C’est un plaisir de pratiquer cette discipline… et au pire cela ne me fera rien.
Comment vivez la sortie du port, quelques heures avant le départ ?
J’ai un merveilleux souvenir de la dernière édition. Je me suis senti à ma place et c’est une sensation rare dans la vie. C’était comme si la nature m’avait mis là. A ce moment-là, j’avais pu profiter du public car ma machine était docile mais cette fois-ci cela ne sera pas pareil. J’ai bien l’intention d’assurer le spectacle – c’est-à-dire de faire monter haut ma coque– et bien sûr, j’aurai conscience du public présent en nombre, mais il faudra que je reste très concentré.