ARKEA ULTIM CHALLENGE - Tom Laperche : « faire parfois preuve d'insouciance »
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Tu as pu constater la ferveur du public brestois lors de la présentation samedi midi. Qu’as-tu ressenti ?
C’est toujours sympa de profiter de ces moments-là. On voit qu’il y a du monde à Brest et dans la région qui suit la course au large. Ça leur parle, ce sont des gens qui sont tournés vers la mer. C’est vraiment sympa de percevoir cet enthousiasme.
Fin novembre, SVR Lazartigue a annoncé avoir détecté cette avarie structurelle sur le bras avant. Peux-tu refaire le fil de ce qui s’est passé ?
Lors de notre retour à l’issue du convoyage, pendant le check complet du bateau, on a découvert une fissure dans le bras avant. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut percevoir de l’extérieur. Dans la foulée, il a fallu comprendre comment s’est arrivé, trouver une solution, mettre en œuvre la réparation afin que ça soit plus robuste et fiable. Ensuite, il y a eu une très bonne synergie entre les architectes, les constructeurs, les calculateurs et le bureau d’étude de MerConcept. Parvenir à réparer en si peu de temps, avec cette qualité de réparation, c’est une sacrée prouesse.
Tu as douté de ta capacité à être au départ ?
Oui forcément quand on a contrôlé le bras, on s’est dit que ça pouvait être compromis. Après, je n’ai jamais voulu croire qu’on n’y arriverait pas, qu’on ne serait pas là le 7 janvier. Ce sera notre rythme, notre histoire. Nous retiendrons ça de notre préparation de tour du monde un peu particulière. Là on doit encore finir de préparer le bateau, le mettre à l’eau et passer par Brest seulement quelques jours. On se sera préparé de cette façon-là mais ce qu’il faut retenir, c’est l’énergie mise par toutes les personnes impliquées. Et on sait bien qu’on aura tous notre lot de soucis et que la ligne d’arrivée est bien loin !
À écouter les prises de parole des six marins, on a l’impression que cette course a une dimension supplémentaire, quelque chose en plus…
Ça reste une course de voile avec un parcours à effectuer et l’idée d’aller le plus vite possible. Après, il faut prendre en compte la capacité à gérer tous les aléas techniques, à ménager son bateau. Le côté extraordinaire, c’est que ce tour du monde a très peu été fait, qu’il y a pas mal d’incertitudes sur la durée, la façon de gérer le bateau, le parcours... On va aller dans des endroits où ces bateaux vont peu, notamment dans les mers du Sud. Il y a du questionnement et c’est légitime.
Avec la difficulté de cette course, on peut penser que tous ceux qui arriveront au bout seront « en mode dégradé », avec un bateau qui n’est pas au maximum de ses capacités. Tu partages cette idée-là ?
Déjà, il faut rappeler qu’en 50 ans, la vitesse des bateaux a été multipliée par quatre, ce qu’aucun sport mécanique n’est parvenu à réaliser. Les contreparties, ce sont les doutes qui subsistent à l’échelle du tour du monde. J’ai confiance dans mon équipe, dans nos systèmes, dans notre bateau. Il y aura des imprévus, des choses que l’on maîtrise moins même si on essaie de limiter les risques. Mais ça fait partie de la course au large : le fait de jouer dans les éléments rend difficile la capacité à tout appréhender, comme si tu modélises une course d’une heure sur du bitume. Il n’y aura pas d’équation simple, tu peux casser, t’arrêter, réparer du petit truc à la grosse bricole... Il faudra être fort et motivé pour garder l’envie d’aller au bout. Et les vitesses théoriques de la plateforme même endommagée restent encourageantes.
Tu as grandi au sein du team SVR-Lazartigue. Que t’as appris le fait de côtoyer François Gabart au quotidien ?
C’est tellement dur de répondre à cette question. Déjà, c’est devenu un ami. Il m’a apporté beaucoup sur la technique, les astuces, les manœuvres mais aussi dans la relation avec l’équipe, l’aspect mental, le fait d’être seul à bord. Il a eu un rôle primordial avec moi depuis que je suis arrivé dans l’équipe et il aura toujours un rôle très important… C’est même un très bel atout à avoir dans les semaines qui viennent.
François aime te décrire comme ayant beaucoup de sang-froid… Est-ce que ça aide à ne pas avoir peur à l’idée de disputer cette course ?
Oui, je suis plutôt de sang-froid et plutôt calme. Après ce n’est pas de la peur. C’est moi qui ai choisi de faire ce tour du monde, il y a beaucoup d’envie surtout et une part d’appréhension. Mais la part d’inconnu contribue à cette envie, à l’attirance pour cette course.
Est-ce que c’est un avantage d’être bizuth ?
Je crois qu’il n’y a que Thomas (Coville) qui n’est pas bizuth d’un tour du monde en solo et en multicoque. Être bizuth, ça a des inconvénients – l’expérience qui te permet de mieux anticiper – et des avantages. Il y aura des moments où on aura besoin de déconnecter, de faire parfois preuve d’insouciance et quand tu as moins d’a priori, ça peut être facile. Après, je reste quelqu’un de réfléchi, je ne suis pas du tout du genre à me lancer tout schuss sans rien savoir. J’essaierai d’avoir les meilleures informations possibles et de faire les bons choix. Les inconvénients, c’est l’expérience : ça permet de mieux anticiper, d’avoir une vision sur ce qui arrive.
Quel est ton objectif à l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest ?
L’objectif lointain, c’est de gagner le tour du monde. Après, il y a plein d’objectifs au fur et à mesure du parcours. Ça a déjà commencé puisque réparer, être sur la ligne de départ, ça en fait partie. Après, j’en ai plein en tête dans ma façon de gérer cette course pour aller au bout. Mais comme je l’ai déjà dit, la ligne d’arrivée est encore très loin. »