La yole ronde, un monde ! Deuxième partie : dessine-moi une yole...

Ce règlement est évolutif. Pour preuve la yole qui a remporté le 1er tour de Martinique, conçue, construite et menée par le Patron Désiré Lamon, le père de Patrick, mesurait 9 mètres hors tout. Depuis 1994 (2), la limite de taille a été fixée à 10.50 mètres, « peinture comprise »… Et c’est bien, cette longueur hors tout un des deux seul élément chiffré de la jauge. Le reste est à l’appréciation de l’architecte, constructeur, patron et bien souvent marin pêcheur. On peut ainsi voir au sec sur la plage du Marin une yole ronde… à bouchain, elle témoigne de la liberté de la jauge et de la créativité des yoleurs. C’est l’originalité de la yole d’être, avant tout, imaginée par des navigateurs qui s’inventent architectes et charpentiers. Les coques sont construites sans plan et c’est par compagnonnage, souvent familial, que se transmet le savoir artisanal et l’expérience de ce peuple de marins.
Avant que d’entrer dans les détails de construction, osons une comparaison. Une yole déplace, en charge équipage compris, environ 2,2 tonnes pour une surface de voilure maximum de 85m2. Pour une même longueur hors tout et à la flottaison, le Pogo 10.5 en charge avec équipage, déplace au minimum 4,2 tonnes pour 71m2 de surface de voilure au pré et 159m2 au portant (3). Il n’est pas certain que ce quillard, réputé rapide, supporte la comparaison en vitesse au bon plein face à une yole ronde !
Profitons-en pour donner des éléments chiffrés, approximatifs, les dimensions sont jalousement préservées, on l’a dit. Merci donc à Christian Cabit, yoleur de St-Anne, d’être moins cachotier. Longueur à la flottaison et hors tout : 10.50 mètres (seule dimension certaine…), bau max : 1,80 à 2 mètres, tirant d’eau : 0,35 à 0.45 m, poids de coque entre 500 et 700 kg, déplacement en charge environ 2 200 kg. Surface de voilure maximum (Chanflor d’après plusieurs sources) : 85m2, hauteur du grand mât : 10 m, bordure maximum de la plus grande des voiles : 8m.
« Un constructeur de yole est un artisan connu de la Société des Yoles rondes de Martinique et qui a été reconnu par celle-ci pour construire une embarcation conforme aux présentes règles de jauge »). Si l’envie vous vient d’imaginer, de construire, et de concourir avec votre yole, il n’est pas certain que vous soyez en conformité avec l’article 2.4 des règles de classe ! D’ailleurs « La commission technique effectuera au minimum trois visites » : après la pose de la quille, de l’étrave et de l’étambot ; la deuxième après la pose des bordés et des planches ; la troisième après peinture. Des carottes peuvent aussi être prélevées pour vérifier l’épaisseur, 15mm minimum de bois massif, et la nature des matériaux constitutifs (2.5.4).
Tous les éléments qui forment l’ossature doivent être en bois massif : le poirier local est de plus en plus remplacé par l’acajou et le cèdre. De même les planches, les lisses et le liston doivent être en bois massif. Les lattes sont interdites.
On peut le comprendre quand on imagine les efforts auxquels sont soumis les « foucas » qui supportent les mâts, et l’étambot qui va accepter la « pagaie » gouvernail, sans compter les neufs équilibristes au rappel sur leurs « bois ». Mais au fait pourquoi ne pas installer de quille ou construire des appendices sustentateurs si seule la longueur est limitée ? Parce qu’il faut répondre à l’article 3.1 de la règle de jauge : « La Yole ronde est une embarcation légère, sans lest, sans dérive ni gouvernail*, à faible tirant d’eau, pouvant naviguer à une ou deux voiles ». (*c’est moi qui souligne). Mais alors comment remonter au vent, et vite, et avec un angle mort très convenable : sans lest, sans dérive ni gouvernail ?
C’est là qu’est le génie de la Yole ronde ! Marquons une pause dans nos coups de hache et la pose de nos bordés et considérerons avec intérêt l’étrave et la monture, pour enfin comprendre pourquoi ce bateau fait du pré et même très bien ! L’étrave s’élève à environ 1,60 m au-dessus de la monture. Elle surprend par sa finesse : c’est une lame sur près d’un mètre de longueur ! Elle est même définie dans les règles comme « taille mer » (3.3i) Ainsi le plan anti dérive est rejeté très en avant, alors que le centre de voilure se situe quasiment au milieu de la coque.
La yole est donc par sa conception naturellement très ardente, elle n’a qu’une furieuse envie : remonter au vent. Pour compenser cette passion dévorante, la poupe aussi participe au plan anti dérive en étant très fine. On peut même, dans les courses à deux mâts y adjoindre une fausse quille (3.3 h) qui est reprise sur la semelle et le tableau arrière, elle permet de compenser un peu le recul du centre de poussée vélique.
Mais cela ne suffit pas. Il faut encore reculer le centre de dérive pour équilibrer le tout. C’est le rôle de « la Pagaie ». Cet aviron de plus de quatre mètres de longueur se termine par une pelle d’environ deux mètres , là aussi, la forme et la surface en sont libre. A l’extrémité du manche un croisillon permet de mieux maintenir la pagaie. La pagaie repose à l’arrière sur « l’engrenage ». La plupart des yoles modernes ont peu d’engrenages latéraux, mais seulement trois dames de nage creusées dans le bois massif de l’étambot. Il ne faut pas moins de trois marins pour compenser la force qui s’exerce sur l’aviron, certains rajoutent même un petit palan sur le manche. On remarquera que la pagaie est plus qu’un simple gouvernail, et que, pour obtenir un équilibre sous voile les réglages sont multiples. Il est possible en effet : 1) de choisir l’engrenage, 2) de faire pénétrer la pelle plus ou moins dans l’eau, 3) de « vriller » plus ou moins la pelle en tournant la pagaie sur son axe, 4) et enfin plus prosaïquement de l’utiliser sur un axe de rotation vertical comme un gouvernail .
Maintenant qu’est réglée la tenue du cap, reste à contrer, sans quille ni lest, le couple de chavirage. C’est là qu’interviennent « les bois dressés » et neuf vigoureux beaux bébés martiniquais. Les bois dressés mesurent près de quatre mètres, ils sont amovibles . Ils viennent se caler sous le liston sous le vent, sont bloqués latéralement sur le liston au vent par des tolets, et peuvent supporter le poids d’un beau bébé martiniquais qui se jette au vent à plus d’un mètre du bordé. Faites le compte : le yoleur se trouve à environ 2.5m du centre de carène, il pèse tranquillement ses 85 kg et il y en a neuf comme cela à jouer à l’équilibriste sur leurs bout de bois. Nous ne sommes pas loin de 2 tonnes x mètre de couple de redressement. Cela vaut bien une quille en plomb !
Maintenant que nous savons pourquoi et comment cela fonctionne revenons à la conception et à la construction. Les formes des yoles tendent vers l’harmonisation, tant la yole qui gagne toujours est scrutée avec intérêt et plus ou moins copiée. La monture, la quille, est rectiligne, les règles de classe spécifient (3.3g): « Semelle : sous la monture est fixée une pièce rectiligne dénommée semelle, elle sert de protection lors des échouages et permet d’améliorer le cap de l’embarcation lors de la navigation…Toute excroissance rappelant une quille est interdite. ». La coque, étroite, se termine par des extrémités très fines : le taille mer à l’avant et l’étambot à l’arrière qui mesure à peu près 0.80m de hauteur. Le maître bau se situe un peu en arrière du tiers avant. A ce niveau la coque présente une forme « en coupe de champagne » qui s’amincit « en V »très progressivement vers l’arrière et jusqu’à l’étambot. La tonture régulière, quasi plane participe à l’élégance de la coque. Entre chaque bordé les « bois boulines » ou « bois va et vient » assurent la rigidité entre les listons. Il y en a un par membrure, soit à peu près un tous les 0.7m, depuis la troisième « tonte », l’emplanture de mât la plus reculée, jusque l’étambot. Ils ne facilitent pas le déplacement de l’équipage dans la coque ces bois boulines. Ils feront par contre d’efficaces barres d’écoute et permettent aussi d’arrêter les manœuvres, les taquets sont interdits.
Pas de taquets, mais résine époxy et tissu carbone pour enforcer la structure ! La Yole est l’expression populaire d’une tradition martiniquaise, elle sait aussi évoluer, et pas qu’un peu ! Comme elle s’est nourrie de ses ascendants caraïbes, africains, européens, notre belle antillaise ne délaisse pas la modernité. Et le comité technique ainsi que le comité directeur étudient régulièrement les propositions des yoleurs, certaines sont acceptées, d’autres rejetées. On peut imaginer des débats passionnés. Par exemple, à ce jour l’épaisseur du bordé en bois massif est au minimum de 15mm, l’épaisseur résine et fibre ne doit pas dépasser 1mm, l’épaisseur de mastic et de peinture est libre quant à elle. Préserver la tradition sans la scléroser, les yoleurs aiment les challenges !
A SUIVRE…