La yole ronde, un monde ! Première partie : quelle histoire...
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Sara-Energies, UFR-Chanflor, Rosette-Orange… Au-delà de la publicité qui orne leurs voiles, et du « doudouisme » auquel le folklore qui les entoure nous renvoie, nous voudrions faire partager notre admiration pour ses subtilités d’architecture, ces trésors de technologie, ces finesses de réglage et de manœuvre que réclament, bien au-delà de leur apparente rusticité, ces étonnants bateaux de régate, leurs talentueux concepteurs, leurs valeureux équipages, et l’efficace organisation des supporters.
Au commencement étaient les amérindiens : Arawaks et Caraïbes. Ils peuplèrent les Antilles au départ de l’Amazonie puis du delta de l’Orénoque à bord d’embarcations monoxyles : creusées dans un tronc d’arbre. Les Arawaks les appelaient « Ka-no-a », littéralement : « qui flotte sur l’eau » on comprend l’origine du mot canoë…(1) Ces embarcations sont utilisées encore de nos jours, à la pêche ou au transport, dans l’archipel des San Blas par les pacifiques indiens Kuna. Elles ne mesurent guère plus de 7 mètres, quelques rares sont surmontées de bouts de tissu à défaut de voile. Les antillais ont adopté cette embarcation rudimentaire pour le transport et la pêche, et se sont transmis le mode de fabrication devenant ainsi constructeurs-marins- pêcheurs sur leurs gommiers. Pour la pêche, mais pas que …
On se souvient du récit de notre ami Maurice Cornely traversant, à la rame avec l’indéfectible Roger son quasi frère, le canal des Saintes par une nuit sans lune à bord d’un gommier. Leur but ? Rejoindre la dissidence en Dominique et continuer le combat. Ils seront exaucés sur les plages de Provence, lors du débarquement, un fusil mitrailleur tenu à bras au-dessus de leurs têtes. C’était en 1942 cette traversée en gommier à partir de la Basse-Terre en Guadeloupe.
Ce gommier antillais figure, et souvent au premier plan, sur les gravures du XVIIIème siècle, glorifiant les trois mâts européens qui croisent dans les caraïbes. Modeste embarcation, taillée dans le bois de l’arbre à qui elle doit son nom, le gommier est toujours manœuvré à la rame comme son ancêtre le canoë. Puis peu à peu sur les tableaux du siècle suivant se hissent sur ces tronc évidés quelques voiles, elles sont portés par de courts mâts. Les marins pêcheurs commence à naviguer à la voile au XIXème.
Plus tard, Marin-Marie illustre l’évolution suivante, et définitive, sur une gouache réalisée au milieu du XXème siècle : « Le vapeur Caraïbe dans la baie de Fort de France ». Y figurent pas moins de quatre bateaux : à rames, avec mât sans voile, et avec le grément que nous connaissons : ces deux derniers visibles très proches du flanc bâbord du vapeur Caraïbe sur le tableau. Mais ce ne sont déjà plus les gommiers originaux, les arbres se sont raréfiés sur l’île, et les marins-pêcheurs-constructeurs de gommier se sont appropriés les techniques des charpentiers de marine européens. Les embarcations sont maintenant construites sur membrures comme ont peut le remarquer sur le canot’ au premier plan. Voici donc sous nos yeux les premières des yoles rondes. Yole parce que, elle est, par définition : « une embarcation légère, et allongée, d’un faible tirant d’eau, propulsée à l’aviron ou à la voile »(2), ronde car elle a adopté la forme de carène du gommier, son très lointain aieul. La première Yole ronde vit le jour au François dans les années 1940 (3), elle est l’oeuvre d’un habile charpentier. Gaby est son nom de baptême(4), on parle de la yole, pas du charpentier. Elle permet aux pêcheurs, pour les plus habiles manœuvriers, de renter au port plus vite proposer leur pêche du jour au marché.
On ne s’étonnera pas que le dévellopement initial et les équipages qui trustent les podiums soient issus de la côte au vent et plus particulièrement du Marin au Robert. L’alizé y est plus constant que sous le vent de l’île, et « la caille », le récif, atténue la houle atlantique. Comme on l’a fait en semaine au retour de pêche, le dimanche on se mesure avec apreté en régates acharnées. Les travailleurs de la mer se muent en compétiteurs. On profite aussi des fêtes patronales pour aller défier les voisins : au Vauclin, au François, au Robert. L’embarcation de travail devient progressivement une redoutable bête de course ! Ainsi, en 1972, se crée « la Société des Yoles et Gommiers de courses de Martinique »(3), elle encourage la construction et la navigation, fixe des règles, et canalise les ardeurs…En 1984 les yoles rondes se séparent des gommiers, et forment deux clubs distincts. Et, au sein des yoles, se distinguent : les bébés yoles et les yoles rondes . Celles-ci, les grandes, qui aujourd'hui osent une longeur hors tout de 10.50 mètres, sont nos yoles : élégantes, métisses, gaies, joyeuses, colorées. En un seul mot : Martiniquaises !
En 1966 quatre téméraires équipages tentent pour la première fois le tour de la Martinique, à bord de Odyssée, Mouette, Frisson et Etoile.
Et téméraires il faut l’être : c’est une Odyssée. Gracieuses tel la Mouette dans le sud de l’île, les yoles, passé la presqu’île de la Caravelle et La Trinité jusqu’au Prêcheur doivent affronter la houle atlantique et le canal de la Dominique, voici le Frisson. Le vainqueur meritera son Etoile ! Ces pionniers réaliseront l’exploit trois années de suite, en quatre ou cinq étapes seulement… on peut applaudir ! Faute d’organisation à terre efficace, tout s’arrête en 1968.
Georges Brival, pionnier de la publicité martiniquaise, participe au développement de la toute nouvelle « Société des yoles rondes de Martinique » en 1984 et ambitionne d’organiser de façon perenne le tour de Martinique en Yole. Il y réussit en dépit des difficultés initiales rencontrées pour la première compétition organisée du 1er au 15 août 1985. A terre, sur l’eau, l’engouement est extraordinnaire. Trente six éditions se sont courrues depuis 1985. Manquent à l’appel deux années de Covid. La yole ronde est la vie de Georges Brival, le tour de la martinique sont Grand Œuvre(5).
Il a participé à la consécration qu’est l’inscription de la yole ronde au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis décembre 2020 (6).
A SUIVRE…
1) André Lucrèce, Civilisations précolombiennes de la Caraïbe : actes du colloque du Marin, août 1989, Éditions L'Harmattan, 1991
2) Bonnefoux et Paris : Dictionnaire de la marine à voile. Editions de la Courtille, Paris, 1975. Réédition de l’ouvrage paru en 1847 .
3) bellemartinique. com histoire de la yole ronde 2023
4) 100-pour-cent-antilles.com/la-grande-histoire-de-la-yole 2023
5) georgesbrival.com l’histoire des yoles rondes de la Martinique 2023
6) tourdesyoles.com 2023