La yole ronde, un monde ! Première partie : quelle histoire...

Par un beau et chaud dimanche de janvier, confortablement installé à l’abri du soleil dans votre cockpit, au mouillage de St-Anne en Martinique, vous les voyez soudain surgir au portant entre la pointe Marin et la pointe Borgnèse. Les voiles multicolores rivalisent d’empannages. Elles surmontent, ces voiles rectangulaires, de frêles esquifs sur lesquels s’affairent quatorze gaillards , pour la plupart au rappel sur leurs bois. Ce sont les Yoles rondes, emblème de la Martinique. Après avoir viré la bouée sous le vent, la vigie, elles remonteront au pré serré dans l’alizé, une lutte implacable où la tactique et la technique prévalent.

Sara-Energies, UFR-Chanflor, Rosette-Orange… Au-delà de la publicité qui orne leurs voiles, et du  « doudouisme » auquel le folklore qui les entoure nous renvoie, nous voudrions faire partager notre admiration pour ses subtilités d’architecture, ces trésors de technologie, ces finesses de réglage et de manœuvre que réclament, bien au-delà de leur apparente rusticité, ces étonnants bateaux de régate, leurs talentueux concepteurs, leurs valeureux équipages, et l’efficace organisation des supporters.

 

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Un « Kanoa » Kuna des îles San Blas propose des langoustes aux voiliers à l'ancre.© Denis Chabassière

 

Au commencement étaient les amérindiens : Arawaks et Caraïbes. Ils peuplèrent les Antilles au départ de l’Amazonie puis du delta de l’Orénoque à bord d’embarcations monoxyles : creusées dans un tronc d’arbre. Les Arawaks les appelaient  « Ka-no-a », littéralement : « qui flotte sur l’eau » on comprend l’origine du mot canoë…(1) Ces embarcations sont utilisées encore de nos jours, à la pêche ou au transport, dans l’archipel des San Blas par les pacifiques indiens Kuna. Elles ne mesurent guère plus de 7 mètres, quelques rares sont surmontées de bouts de tissu à défaut de voile. Les antillais ont adopté cette embarcation rudimentaire pour le transport et la pêche, et se sont transmis le mode de fabrication devenant ainsi constructeurs-marins- pêcheurs sur leurs gommiers. Pour la pêche, mais pas que …

On se souvient du récit de notre ami Maurice Cornely traversant, à la rame avec l’indéfectible Roger son quasi frère, le canal des Saintes par une nuit sans lune à bord d’un gommier. Leur but ? Rejoindre la dissidence en Dominique et continuer le combat. Ils seront exaucés sur les plages de Provence, lors du débarquement, un fusil mitrailleur tenu à bras au-dessus de leurs têtes. C’était en 1942 cette traversée en gommier à partir de la Basse-Terre en Guadeloupe.

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Ce gommier antillais figure, et souvent au premier plan, sur les gravures du XVIIIème siècle, glorifiant les trois mâts européens qui croisent dans les caraïbes. Modeste embarcation, taillée dans le bois de l’arbre à qui elle doit son nom, le gommier est  toujours manœuvré à la rame comme son ancêtre le canoë. Puis peu à peu sur les tableaux du siècle suivant se hissent sur ces tronc évidés quelques voiles, elles sont portés par de courts mâts. Les marins pêcheurs commence à naviguer à la voile au XIXème.

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Plus tard, Marin-Marie illustre l’évolution suivante, et définitive, sur une gouache réalisée au milieu du XXème siècle : « Le vapeur Caraïbe dans la baie de Fort de France ». Y figurent pas moins de quatre bateaux : à rames, avec mât sans voile, et avec le grément que nous connaissons : ces deux derniers visibles très proches du flanc bâbord du vapeur Caraïbe sur le tableau. Mais ce ne sont déjà plus les gommiers originaux, les arbres se sont raréfiés sur l’île, et les marins-pêcheurs-constructeurs de gommier se sont appropriés les techniques des charpentiers de marine européens. Les embarcations sont maintenant construites sur membrures comme ont peut le remarquer sur le canot’ au premier plan. Voici donc sous nos yeux les premières des yoles rondes. Yole parce que, elle est, par définition : « une embarcation légère, et allongée, d’un faible tirant d’eau, propulsée à l’aviron ou à la voile »(2), ronde car elle a adopté la forme de carène du gommier, son très lointain aieul. La première Yole ronde vit le jour au François dans les années 1940 (3), elle est l’oeuvre d’un habile charpentier. Gaby est son nom de baptême(4), on parle de la yole, pas du charpentier. Elle permet aux pêcheurs, pour les plus habiles manœuvriers, de renter au port plus vite proposer leur pêche du jour au marché.

On ne s’étonnera pas que le dévellopement initial et les équipages qui trustent les podiums soient issus de la côte au vent et plus particulièrement du Marin au Robert. L’alizé y est plus constant que sous le vent de l’île, et « la caille », le récif, atténue la houle atlantique.  Comme on l’a fait en semaine au retour de pêche, le dimanche on se mesure avec apreté en régates acharnées. Les travailleurs de la mer se muent en compétiteurs. On profite aussi des fêtes patronales pour aller défier les voisins : au Vauclin, au François, au Robert. L’embarcation de travail devient  progressivement une redoutable bête de course ! Ainsi, en 1972,  se crée « la Société des Yoles et Gommiers de courses de Martinique »(3), elle encourage la construction et la navigation, fixe des règles, et canalise les ardeurs…En 1984 les yoles rondes se séparent des gommiers, et forment deux clubs  distincts. Et, au sein des yoles, se distinguent : les bébés yoles et les yoles rondes . Celles-ci, les grandes, qui aujourd'hui osent une longeur hors tout de 10.50 mètres, sont nos yoles : élégantes, métisses, gaies,  joyeuses, colorées. En un seul mot : Martiniquaises !

En 1966 quatre téméraires équipages tentent pour la première fois le tour de la Martinique, à bord de Odyssée, Mouette, Frisson et Etoile.

Et téméraires il faut l’être : c’est une Odyssée. Gracieuses tel la Mouette dans le sud de l’île, les yoles, passé la presqu’île de la Caravelle et La Trinité jusqu’au Prêcheur doivent  affronter la houle atlantique et le canal de la Dominique, voici le Frisson. Le vainqueur meritera son Etoile ! Ces pionniers réaliseront l’exploit trois années de suite, en quatre ou cinq étapes seulement… on peut applaudir ! Faute d’organisation à terre efficace, tout s’arrête en 1968.

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Georges Brival, pionnier de la publicité martiniquaise, participe au développement de la toute nouvelle « Société des yoles rondes de Martinique » en 1984 et ambitionne d’organiser de façon perenne le tour de Martinique en Yole.  Il y réussit en dépit des difficultés initiales rencontrées pour la première compétition organisée  du 1er au 15 août 1985. A terre, sur l’eau, l’engouement est extraordinnaire. Trente six éditions se sont courrues depuis 1985. Manquent à l’appel deux années de Covid. La yole ronde est la vie de Georges Brival, le tour de la martinique sont  Grand Œuvre(5).

Il a participé à la consécration qu’est l’inscription de la yole ronde au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis décembre 2020 (6).

A SUIVRE…

1) André Lucrèce, Civilisations précolombiennes de la Caraïbe : actes du colloque du Marin, août 1989, Éditions L'Harmattan, 1991

2) Bonnefoux et Paris : Dictionnaire de la marine à voile. Editions de la Courtille, Paris, 1975. Réédition de l’ouvrage paru en 1847 .

3) bellemartinique. com histoire de la yole ronde   2023

4) 100-pour-cent-antilles.com/la-grande-histoire-de-la-yole 2023

5) georgesbrival.com l’histoire des yoles rondes de la Martinique 2023

6) tourdesyoles.com  2023

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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