Non, les 29 skippers qui prendront le 6 novembre aux Sables-d'Olonne le départ du 8e Vendée Globe ne seront pas seuls à bord... Tapie au fond de chaque bateau, une passagère clandestine les accompagnera autour du monde: la peur.
Dans l'exercice des sports extrêmes, et le Vendée Globe en est un, tout le monde éprouve de la peur. Et les circumnavigateurs les plus aguerris ne font pas exception. Pas facile de l'avouer, pourtant.
C'est un sujet un peu tabou, comme le mal de mer dont souffrent même les marins les plus chevronnés quand le mauvais temps les cueille lors des premiers jours de mer. Certains, et non des moindres, en parlent librement, mais ils font plus allusion à la crainte de casser quelque chose qu'à une défaillance psychologique. Pas de peur panique, mais plutôt l'appréhension de ne plus pouvoir contrôler la "bête" lorsqu'elle part à une vitesse folle dans une mer démentielle. D'où la nécessité de bien maîtriser le mode d'emploi de ces "luges" de carbone.
Et puis il y a "l'homme à la mer", le cauchemar de tous les marins, synonyme de mort assurée. "La peur, c'est un phénomène plutôt rare", note Jean-Pierre Dick (St Michel-Virbac), l'un des favoris. "Pourtant, j'ai eu une fois peur sur un bateau. J'ai eu peur pour moi, c'était de la peur physique".
"C'était au cours de mon 2e Vendée Globe (2008), raconte-t-il. Je n'arrivais pas à réduire une voile d'avant et je sentais la tempête qui arrivait. Il fallait que j'aille effectuer une réparation, je prenais des risques. J'étais attaché mais si tu te fais balayer hors de ton bateau, tu es traîné et il faut avoir beaucoup de force pour remonter à bord. C'était très impressionnant".
"J'espère que la peur bleue, je ne vais pas la rencontrer sur le Vendée Globe", confie Jérémie Beyou (Maître Coq), un autre vainqueur potentiel. "Les gens qui participent à cette course sont assez armés pour ne pas se retrouver dans une telle situation car sinon, c'est la fin".
Comme ses adversaires, "Jerem" insiste sur la nécessité, dans des situations difficiles, de respecter des procédures répétées des milliers de fois à l'entraînement. Surtout, ne pas gamberger! "Tu te prépares à certaines manoeuvres. Un exemple: j'ai un empannage à faire dans 35/40 noeuds de vent (75 km/h), comment je fais? J'y réfléchis, j'échange avec mon équipe, j'essaie de répéter les manoeuvres dans ma tête". Il reconnaît toutefois qu'il est difficile de reproduire certaines conditions extrêmes.
"Est-ce que j'ai déjà éprouvé de la peur?", s'interroge Sébastien Josse (Edmond de Rothschild) "Oui, ou plutôt de l'appréhension. La première fois que tu vois ton bateau avancer à 30/35 noeuds, tu n'en es plus le pilote. Tu es recroquevillé, tu te mets dans une zone de sécurité, dans un coin où tu ne risques pas de prendre quelque chose sur la couenne". "Tu regardes ton speedo et tu te demandes: ça va aller jusqu'où? A ce moment-là, ce n'est pas de la peur panique mais tu ne fais pas le malin parce que, clairement, tu subis".
"Cette notion de peur, elle existe mais on la maîtrise", résume Josse, un autre client sérieux pour la victoire dans cette 8e édition de l'"Everest des mers"."Croiser des situations à risques, oui ça m'est arrivé", reconnaît Vincent Riou (PRB), vainqueur du Vendée Globe en 2004 et bien placé pour récidiver. "Dans ces cas-là, il faut éviter de trop réfléchir. Il faut agir. Et agir, c'est être capable de changer de mode, de passer de la compétition à la sécurité, de prévenir les incidents et se protéger". "Mais ce n'est pas évident, explique-t-il, car ce sentiment de mise en danger amène forcément de l'émotion et il faut la contenir pour aller à l'essentiel et prendre les bonnes décisions".
Le mot de la fin, revient peut-être à Fabrice Amédéo (Newrest-Matmut), qui va participer à son premier Vendée Globe.
"Même quand je suis à fond, affirme-t-il, ma priorité est toujours de naviguer en +bon marin+, c'est mon leitmotiv. Ca veut dire lever le pied de temps en temps, bien décomposer les manoeuvres, anticiper les réductions de voilure quand le vent monte, ne pas attendre le dernier moment".