« Lutter contre le froid polaire et me libérer de l’emprise des glaces »
A l’entame de la 3e semaine de son défi, Yvan Bourgnon a déjà réalisé le quart du parcours qui doit l’emmener à Nuuk, capitale du Groenland, en moins de deux mois. Le navigateur a d’abord franchi le cercle polaire le 15 juillet, passage symbolique qui marque les frontières de l’Arctique et le début du passage du Nord-Ouest. Le passage du cercle polaire, les jours de pluie sans discontinuer, le froid et le manque de sommeil ont ensuite été le prix à payer pour qu’Yvan puisse atteindre Barrows, première porte des glaces, le 19 juillet dernier. Les conditions l’ont obligé à une vigilance extrême malgré la fatigue : « La banquise omniprésente a dégagé une fine bande littorale d'environ 2 à 4 miles de large d'eau libre pour me permettre de naviguer et de me libérer de l’emprise des glaces. La visibilité peut passer en 10 mn de 4 miles à 20 mètres et comme en bordure de banquise des glaçons dérivants peuvent se présenter sur ma route, il faut être attentif ».
Par le travers de Baillie Island, Yvan va maintenant entrer dans le détroit d'Amundsen et naviguer entre les côtes très resserrées : « Dans le détroit, le fait d'être au près ne me laissera aucun répit. Je vais devoir fractionner mon sommeil pour éviter de heurter la côte et ne pas renouveler l'endormissement fatal du Sri Lanka, pendant le tour du monde ! Au portant, je pourrais faire une route directe parallèle au rivage. »
Le froid proche de 0° et des bancs de brume quasi givrante ont remplacé l'humidité permanente des deux premières semaines. « Pour effectuer la moindre tâche avec ce froid, je dois enlever les gants et très vite c'est l'onglée. Il me faut en plus 4 à 5 minutes pour les remettre. Résultat, j'ai tendance à laisser passer des repas pour ne pas me geler les doigts. Mais tout cela ne plombe pas mon moral, j'aimerais juste me faire plaisir à la barre avec un peu de vent de travers, ce qui n'est pas souvent le cas depuis le départ. ».
Escale forcée et conditions de navigation frustrantes
Au près serré, avec obligation de tirer des bords, « Ma Louloutte » est en effet depuis plusieurs jours face à un courant de 1,5 nœuds qui freine sa progression. Les mouvements saccadés et les bonds des coques sur les vagues ne sont pas de tout repos pour Yvan : « Le bateau tape sans arrêt avec souvent des bonds de 1 mètre suivi d'un choc contre la mer. J'espère que « Ma Louloutte » va tenir le coup à ce régime-là. Mon dos commence à souffrir de ces ruades répétées. Les vertèbres se tassent et je rêve de vent de travers et de glissades à 10 nœuds ! »
Le navigateur a également dû faire face à la défaillance de son panneau solaire principal. Pour diagnostiquer la panne et la réparer, Yvan a dû s'arrêter près de l'ile Herschel en Mer de Beaufort. Un arrêt sans mettre un pied à terre. « Je devais être au calme pour bricoler et un stop au mouillage s'imposait ». Il restera à l'arrêt une dizaine d'heures avant de repartir vers le nord-est, avec en ligne de mire, mais à bonne distance, le détroit de Bellot et le prochain bouchon de banquise.
Le défi de tous les dangers
Yvan Bourgnon, marin rompu à la course au large et à la pratique du catamaran de sport, a décidé de surmonter un défi inédit. Une navigation périlleuse de 7 500 kilomètres en solitaire. Une aventure hors norme qui doit durer deux mois, et emmener Yvan du Pacifique à l’Atlantique, en passant par le nord Canadien au milieu des glaces, sur un voilier de six mètres de long.
En sillonnant le Cercle Polaire Arctique, Yvan est confronté aux difficultés tant redoutées par les marins : le froid (entre -10° et +5° C) et les icebergs (pouvant atteindre 40m de hauteur). Un refroidissement prématuré de la région est toujours à craindre et entrainerait immédiatement une reconstitution de la banquise et un risque de blocage pur et simple de l’embarcation.
Mais le principal danger viendra de l’omniprésence des ours polaires attirés par l’odeur de l’homme et de plus en plus agressifs avec le réchauffement climatique. Yvan a d’ailleurs observé son premier ours polaire à l'entrée du golfe d'Amundsen : « Je naviguais avec pas mal de glaçons à vue au nord de cap Parry, quand j'ai distingué la silhouette d'un ours blanc. Il était seul sur un glaçon d'une cinquantaine de mètres. Le temps que je manœuvre, il avait disparu. »