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Pirate à la jambe de bois ? Très peu pour lui... Équipé d'une prothèse de jambe dernier cri et pétri de ses rêves d'enfant, le Malouin Fabrice Payen prendra le départ de la Route du Rhum avec l'objectif de faire évoluer le regard sur le handicap.
Il n'y va "pas pour le podium", répète à l'envi le skipper du trimaran Team Vent Debout, comme pour contrebalancer l'audace de son projet. Pourtant, même sans podium, traverser l'Atlantique en solitaire avec une jambe prothétique en carbone sera une première dans l'histoire de la course au large, qui démarre le 4 novembre. À 49 ans, ce mordu de voile; qui a tiré ses premiers bords chez les scouts marins de Saint-Malo en Bretagne (nord-ouest de la France), a navigué aux côtés d'Éric Tabarly et régatait pendant un temps "dix mois sur douze" en Méditerranée.
Il revient de loin. En 2012, un accident de moto au Rajasthan, en Inde, bouleverse sa vie. "Une voiture nous a percutés, moi et ma compagne, au milieu de nulle part. Le chauffard a pris la fuite", raconte Fabrice Payen à l'AFP. S'ensuivent quatre années de souffrance, à ne plus pouvoir plier la jambe, des opérations à la chaîne, puis la "libération" en 2016 avec le choix de l'amputation, seule solution pour retrouver de la mobilité. Grâce au fonds d'indemnisation des victimes d'infraction, il parvient à s'équiper d'une prothèse étanche truffée de capteurs et de microprocesseurs, combinant gyrocompas, accéléromètre et programmation par smartphone pour courir ou faire du vélo. Une bagatelle à 100.000 euros. Le prix du bateau.
Le prix aussi de la revanche sur le destin. "Quand on rejoint le +club des handicapés+, on s'aperçoit que c'est compliqué de se réinsérer professionnellement et socialement", admet ce marin diplômé en philosophie. Skipper professionnel et commandant de marine marchande, Fabrice Payen se voit retirer son agrément pour "inaptitude" par l'administration maritime. Un agrément qu'il compte redemander après la course. Après plusieurs déconvenues, il décide de créer son activité professionnelle. Ce sera le projet Route du Rhum, la mythique course en solitaire qui lui trotte dans la tête depuis son plus jeune âge.
À la barre de son trimaran de 50 pieds (15 mètres), qui a déjà trois "Rhum" dans les haubans, le sportif admet tout juste avoir "plus de contraintes que les autres concurrents". "Je me déplace moins rapidement et j'ai moins de force pour pousser, tirer, car je n'ai pas la même stabilité", reconnaît-il.
À bord, quelques aménagements ont été réalisés pour lui faciliter les déplacements, des mains courantes ajoutées. "Mais pas plus que pour un autre skipper", précise Jérôme Solem, préparateur, qui espère le voir "réussir à aller de l'autre côté".