"C'est comme des coups de couteau": transi dans son maillot, un touriste se plonge dans une eau à 3°C, sous le regard interloqué d'un groupe de manchots. Autour, des blocs de glace en forme de cocotte en papier, d'origami ou même d'amphithéâtre flottent, photogéniques, sur une mer d'huile.
Pour atteindre l'île Half Moon, en Antarctique, ce Norvégien de 58 ans a parcouru quelque 14.000 km, dépensé des milliers d'euros... et laissé une empreinte carbone de plus de 5 tonnes.
Surfant sur la soif de nouveauté d'une clientèle fortunée et saisie d'un sentiment d'urgence à découvrir des contrées menacées par le dérèglement climatique, les croisières s'aventurent dans des recoins toujours plus éloignés et sauvages.
Continent de tous les superlatifs -le plus froid, le plus venteux, le plus sec, le plus reculé, le plus désert, le plus inhospitalier...-, l'Antarctique, à la fois stérile et bouillonnant de vie, est aujourd'hui une destination de choix. Pour beaucoup, c'est la dernière frontière. Une frontière qu'il faut à tout prix atteindre avant qu'elle ne disparaisse sous sa forme actuelle. "Ce n'est pas une plage typique, mais c'est génial", s'enthousiasme Even Carlsen après son "plongeon polaire" sous le 62e parallèle Sud.
Le téméraire Scandinave est l'un des 430 passagers embarqués sur le Roald Amundsen, premier navire de croisière à propulsion hybride au monde, venu croiser dans l'océan Austral quelques mois seulement après sa sortie des chantiers navals.
Les touristes affluent. Un bond de 40% du tourisme est prévu en cette saison d'été austral, avec près de 80.000 visiteurs.
Des règles encadrent ces visites pour ne pas abîmer ce territoire vierge. "La seule chose qu'on prend, ce sont des photos; la seule chose qu'on laisse, ce sont des empreintes de pas; la seule chose qu'on garde, ce sont les souvenirs": c'est le slogan des professionnels du tourisme.
Cependant les critiques dénoncent un "tourisme de la dernière chance", cet empressement à visiter des destinations vulnérables, comme ailleurs Venise ou la Grande Barrière de Corail, tant que cela est possible.
Autre danger pour cette terre immaculée, cette suie noire, ramenée par le carbone des cheminées des navires, qui se dépose sur les surfaces glacées et accélère leur fonte.