Avant de goûter aux rythmes chaloupés des Caraïbes, il faudra trouver le bon tempo sur l’Atlantique en novembre pour rejoindre Pointe-à-Pitre. Un dosage entre sécurité et performances, spécialement pointu sur ces endiablés trimarans que sont les Ocean Fifty. Explications avec les skippers.
Quel rythme adopter sur un début de course ? Faut-il être conservateur, observer les autres, jouer dans son coin ou partir sur une coque à l’assaut de l’Atlantique sans se retourner ?
La parole va pour commencer au plus expérimenté de tous, Gilles Lamiré, qui n’a jamais raté une Route du Rhum en trimaran de 50 pieds depuis 2006, les a toutes terminé et s’élance pour la cinquième fois avec des ambitions : «Le plateau est tellement homogène qu’ il faudra être dans le rythme tout de suite après le cap Fréhel pense le skipper de GCA-1001 sourires. En Manche, il y a déjà de petits passages à niveau et il faut sortir dans le bon paquet. Je pense que les 48 premières heures seront chaudes pour être au rendez-vous des systèmes météo ».
Naviguer vite mais avec une petite marge de sécurité, savoir s’alimenter et dormir un peu dans les premiers jours de course, préserver le matériel face aux éléments, le tout en navigant 95% du temps à l’extérieur écoute à la main, abrité par des casquettes à l’étanchéité aléatoire… voilà l’exercice très sélectif qui attend les skippers de la catégorie. Un exercice qu’ Armel Tripon (Les P’tits Doudous), vainqueur en 2018, sait fragile, lui qui a chaviré lors du Pro Sailing Tour cette année. Armel qui promet de faire sa course, rien que sa course « J’aurai en tête ce que m’avait dit Fred Le Peutrec quand j’ai commencé le multicoque : « Surtout, tu ne regardes pas les autres ! » Tu ne sais jamais si le mec qui te double est frais ou bien cramé. Si de ton côté, tu as pas dormi depuis 6 heures, tu renvoies de la toile et là, tu fais une connerie… »
Rythme course
Capable de mettre beaucoup de rythme en équipage mais bizuth en solitaire sur Ocean Fifty, Sébastien Rogues est aussi conscient qu’il va falloir trouver sa propre façon de naviguer entre Saint-Malo et Pointe à Pitre. «Je m’attends à un match de très haute intensité dès le début mais je suis aussi convaincu que le vainqueur en Guadeloupe sera un bateau à 100% de son potentiel » dit le dernier vainqueur de la Route du Café. «Le problème sur nos bateaux, c’est que dès que tu temporises un peu, les performances s’en ressentent énormément … » ajoute le skipper de Primonial, énonçant une ultime équation à résoudre d’ici dimanche.
Pourtant, les Ocean Fifty n’ont jamais autant navigué que ces deux dernières années, et les bizuths ont pu échanger avec les anciens de la classe, les Lamiré, Le Roux, ou Vauchel-Camus Une donnée précieuse pour ce dernier : « On n’est pas avare de conseils chez les Ocean Fifty, car on a envie de garder notre flotte intacte. Il y a eu le chavirage de Lalou il y a quatre ans, d’Armel cette année… Ce serait bien qu’on arrive à huit cette fois-ci » dit celui qui est pourtant réputé n’avoir pas froid aux yeux. « Mais paradoxalement ajoute le skipper de Solidaires en Peloton ARSEP, comme les nouveaux venus ont eu beaucoup d’occasion de se confronter et qu’ils connaissent leur bateau sur le bout des doigts, j’ai bien peur que ça parte au taquet. Au taquet, plus deux tours ! »
Rythme météo
Un rythme qui pourrait néanmoins être canalisé si la météo est anxiogène. Notamment l’état de la mer pour ces multicoques qui font la moitié de la taille d’un Ultim et n’ont pas la sécurité du plomb. Au sortir de la Manche, plusieurs skippers n’hésitent pas à annoncer qu’ils plongeront dès que possible au Sud, à l’image de Quentin Vlamynck ou Sébastien Rogues, se raccrochant au succès d’Armel Tripon en 2018. « Si une porte s’ouvre vers le Sud, j’irai direct, même si la route rallonge de 24 heures sur le papier, car le papier ne voit pas la mer » dit Sébastien Rogues.
Bizuth lui aussi, Sam Goodchild a une approche moins radicale : « Nord ou Sud, c’est pas tout blanc tout noir. Sur Leyton, on sait ce qu’on a déjà été capables de faire avec le bateau et ce qu’on ne connait pas. Donc si la situation est chaude au départ, on pourra en discuter de vive voix avec les routeurs » dit le skipper britannique. « La vitesse max du bateau sur la polaire, c’est 23/24 noeuds. Dans certaines conditions, on peut la dégrader jusqu’à 50%, s’il faut par exemple traverser pendant quelques heures un front parce que ça paye derrière »
Parfois au contraire, le rythme s’emballe lorsqu’il aller chercher un phénomène météo qui ne dure pas, comme une porte qui se referme. Thibaut Vauchel Camus raconte : « Il y a quatre ans, j’ai pris la route Nord car je ne me sentais pas capable d’aller assez vite pour passer par là où sont allés Armel Tripon et Lalou Roucayrol. Ceci dit, sans malchance - il a cassé sa têtière de grand-voile NDLR et terminé troisième - cette route-là était gagnante car j’étais en tête aux Açores et ça déroulait. J’espère en tous cas qu’il y aura un peu de violet sur les cartes météo car j’ai fait le pari d’un bateau océanique et j’y crois ! » prévient le malouin.
Rythme intérieur
Et si le bon rythme était celui du bonheur ? Juste le bonheur d’être en mer et en course, à l’écoute de son bateau comme l’évoque joliment Gilles Lamiré « Je ne juge pas ma manoeuvre à sa rapidité d’exécution. Mon critère, c’est qu’elle soit la plus propre possible, c’est ça qui me donne du plaisir et ça a pour moi une valeur maritime. Je sais qu’en Ocean Fifty, si tu navigues propre pendant dix jours, tu es sur le podium…»
Si comme le prédisent certains, l’issue de la course se joue cette année dans un mouchoir autour de la Guadeloupe, il faudra en effet conserver quelques réserves pour faire preuve de lucidité … et manoeuvrer à bon rythme dans les derniers mètres.