Après plus de 10 000 milles à travers l’océan Indien puis le Pacifique, et 29 jours à l’ahurissante moyenne de près de 15 nœuds, Team Malizia, talonné par Holcim-PRB, devrait franchir le fameux cap Horn en tête ce soir, entre 18 et 20 heures, et ce dans une brise de « demoiselle » après plusieurs jours plus que toniques dans une forte dépression, typique des mers du sud.
Éjectée de sa bannette lors d’un violent enfournement, et dans une mer épouvantable dixit ses coéquipiers, Rosalin Kuiper, co-skipper de Team Malizia, a été victime d’un traumatisme crânien, et de fait d’une commotion cérébrale hier dimanche matin. Bien que marquée, l’inoxydable navigatrice néerlandaise est dans un état stable, et se repose. Paradoxalement, le vent est très mou et erratique dans les parages de la Terre de Feu, un peu comme un lendemain en Méditerranée après un fort coup de mistral, où l’on passe de 50 à 5 nœuds en quelques heures… Du coup, les écarts se creusent, 238 milles séparant le premier du dernier, ce lundi en fin de matinée.
Sur une carte marine, quand on pointe le doigt sur le cap Horn, on a l’impression de voir une canine plantée entre l’Amérique du Sud et l’Antarctique. Les navigateurs de The Ocean Race ont entré ce waypoint sur l’ordinateur et la cartographie électronique, situé par 55°56 sud et 67°17 ouest. Le Horn, surnommé aussi le cap Dur, porte le nom de la ville de Hoorn aux Pays Bas, d’où était originaire Jacob Le Maire, un négociant, premier homme à le franchir avec son navigateur William Schouten en mars 1616 - il y a 407 ans. Durant des décennies, les navires de commerce n’avaient d’autre choix que de doubler le cap Horn lors de traversées épiques entre Asie et Europe, et ce avant que le canal de Panama ne soit creusé.
La légende prétend que lorsque l’on a franchi le cap Horn, on peut porter un anneau à l’oreille, mais aussi « pisser au vent ». Pas besoin d’être cap Hornier pour savoir que ceci est une « fake » ! Et si une bonne majorité des vingt marins embarqués sur la plus longue étape jamais disputée depuis la création de la course, l’a déjà mis sur son CV, le Horn se mérite. Comme annoncé, le Pacifique a « montré les dents » ces trois derniers jours, une vaste dépression typique des mers australes générant de forts vents et surtout une mer abrupte et déferlante. Il n’y a bien que ces fabuleux albatros, dans leur océan de prédilection, qui ont plané à cœur joie autour des IMOCA, lancés à des vitesses stratosphériques pour des monocoques de 18,28 mètres, superbement filmés par les drones.
Quel contraste entre l’équipage en maillot de bain, bouquinant sous les alizés de sud-est, lors du convoyage de GUYOT Environnement - Team Europe vers Itajaí, et ceux de Team Malizia, Holcim-PRB, Biotherm et 11th Hour Racing Team, en ciré, et devant porter casque anti-bruit ou bouchons d’oreilles quand ils sont hors quart ! Barbe drue, regard fatigué, l’Américain Amory Ross, Onboard Reporter sur 11th Hour Racing Team, pourtant rompu à la course – c’est sa troisième Ocean Race – avoue : « la vie à bord est vraiment bruyante. On a hâte d’arriver au Brésil pour plein de raisons… mais retrouver un peu du calme est probablement tout en haut de la liste… »
Quel contraste également entre la brutalité de ces IMOCA surfant et volant à près de 30 nœuds dans des creux entre cinq et huit mètres, et la sérénité de ces femmes et de ces hommes, secoués certes, mais d’un calme olympien, échangeant sans jamais hausser le ton ! Les traits sont tirés, les airs parfois songeurs, mais la décontraction domine, et les « vannes » ou autres rigolades ne font que confirmer que ces marins, même après un mois de mer dans la promiscuité d’une luge en carbone, ont une résilience hors du commun. Tous ont déployé aussi le foil au vent. Comme le précise Michel Desjoyeaux, ancien de The Ocean Race avec Éric Tabarly en 1985 notamment, et double vainqueur du Vendée Globe : « l’idée est d’aller chercher un peu plus d’appui dynamique pour que la coque retombe moins violemment, façon suspension oléo pneumatique, avec un peu d’Archimède et un peu plus de portance » histoire que le bateau soit relativement amorti.
Après une route au nord-est, afin d’avoir une mer un peu moins mauvaise, les concurrents ont empanné, avant de plonger tribord amure vers le cap Horn. Plus nord afin d’avoir moins de mer, Team Malizia, impressionnant au portant, mène devant Holcim-PRB et Biotherm. 11th Hour Racing Team, en proie à des soucis de grand-voile, bloquée au second ris, ne lui permet pas de naviguer avec toute sa garde-robe, et Biotherm a dû organiser un atelier bricolage dimanche suite à une avarie de hale-bas et de latte supérieure de grand-voile. Après avoir « mis le clignotant à gauche », ils vont gagner dans le nord assez rapidement, avant de buter à nouveau dans des vents faibles et tordus. Une dépression au sud-est de Mar del Plata pourrait bien redistribuer les cartes, avec un nouveau regroupement avant la dernière ligne droite vers Itajaí, pour une ETA entre le 1er et le 2 avril.
Plus habitué à voir des hordes de touristes débarquer au Horn, se photographiant devant le mémorial représentant des albatros enlacés, que des bateaux en course laisser « le caillou » à bâbord, le gardien chilien du phare, va sans le moindre doute être égayé par sa journée et les contacts VHF avec les marins.