Une centaine de mètres de long, dix de large et plusieurs impacts de bombes: le "Keith", un destroyer britannique gisant au fond du chenal de Dunkerque depuis son naufrage lors de l'opération Dynamo en 1940, a été localisé par les archéologues. A bord de leur navire de recherche, ils recensent ce patrimoine.
Le navire de guerre apparaît en 3D sur l'écran de Mark James, géophysicien d'Historic England, agence gouvernementale britannique participant à cette campagne de relocalisation des épaves, menée par le Département français des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm).
Le sondeur multifaisceaux, accroché sous le bateau, mesure la profondeur des eaux permettant de créer "un modèle 3D des fonds marins, des épaves et débris qui peuvent s'y trouver", explique le géophysicien.
"C'est émouvant de voir le bateau apparaître à l'écran, ces épaves représentent un héritage culturel partagé entre l'Angleterre et la France", témoigne-t-il.
Malgré "son volume important", cette épave va "petit à petit disparaître", souligne Cécile Sauvage, archéologue du Drassm et co-responsable de l'opération débutée le 25 septembre. Les répertorier permet de "sauvegarder la mémoire de ces navires et l'histoire humaine qui existe derrière ces naufrages".
L'opération Dynamo, notamment immortalisée par le film Dunkerque en 2017, s'est déroulée du 26 mai au 4 juin 1940: prises en étau dans le nord de la France par les troupes allemandes, les forces alliées ont cherché à évacuer vers l'Angleterre.
En neuf jours, pas moins de 338.220 combattants - en majorité britanniques mais également français (123.000) et belges (16.800) - ont été évacués dans des conditions inouïes à bord de diverses embarcations - navires militaires, chalutiers, ferries, remorqueurs...
Soixante kilomètres séparent Dunkerque et Douvres en empruntant le trajet le plus court, mais celui-ci était à portée des canons ennemis installés à Calais.
"Entre 1.000 et 1.500 navires de tous types ont fait la traversée", et 305 ont coulé à cause "des bombardements, des torpilles ennemies, des mines mais également des collisions provoquées par la panique de l'opération", raconte Claire Destanque, archéologue, co-responsable de l'opération.
Près de 5.000 soldats ont péri noyés, selon l'historien dunkerquois Patrick Oddone.
- "305 histoires" -
Pendant trois semaines, les deux archéologues appuyés par deux géophysiciens ont quadrillé la mer du Nord pour faire l'inventaire de ces navires disparus, une première dans les eaux françaises.
Ces épaves ont déjà été localisées par des plongeurs bénévoles de la région, mais les archéologues devaient confirmer les emplacements et les confronter aux données d'archives pour officialiser leur identification.
Sous un soleil automnal, l'équipage fait ensuite route vers un cargo français d'une centaine de mètres de long, le "Douaisien". Venu d'Algérie pour décharger de la marchandise à Dunkerque, il avait été réquisitionné pour évacuer 1.200 soldats. Mais à peine était-il parti du port qu'il avait coulé, touché par une mine, relate Claire Destanque.
La chercheuse pointe sur l'écran l'impact de la mine, visible plus de 80 ans après le naufrage: "en connaissant l'histoire qu'il y a derrière, c'est très émouvant".
A l'issue de cette campagne de détection, 27 épaves de l'opération Dynamo ont été identifiées avec certitude, annoncent les archéologues.
Trois autres épaves ont également été localisées mais "au vu des restes très abimés", il faudra "les expertiser en plongeant" lors d'une deuxième phase de recherche en 2024, pour s'assurer de leur identification.
L'objectif d'une telle campagne de recherches "est de mieux localiser et connaître ces vestiges", explique Cécile Sauvage. Il s'agit aussi "de mieux les protéger, notamment lors d'un projet d'aménagement - comme un parc éolien - qui pourrait les détruire".
Un parc éolien est en projet depuis plusieurs années au large de Dunkerque.
C'est également l'occasion de faire connaître ce patrimoine au public: "Dynamo est un jalon important de la Deuxième guerre mondiale", beaucoup moins connu en France qu'il ne l'est en Grande-Bretagne, fait-elle valoir.
Ces épaves disparues représentent "305 histoires dans la grande Histoire", souligne Claire Destanque.