
Francine, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Je suis apnéiste, avec pour meilleurs amis mon appareil photo, mes palmes, mon stylo plume, mon passeport et ma Bible. Et pour pires ennemis, ma montre et les terriens bruyants. Je suis reporter, photographe, « écriveuse » et... étanche tant qu’aucun morse ne me plantera ses dents dans l’épaule.
A quel moment vous êtes-vous dit "je veux plonger en apnée" et pas avec des bouteilles de plongée ?
Le jour où j’ai dû remonter toutes les calanques de Cassis avec mon cousin Jacques, et nos bouteilles sur le dos. Quand j’ai levé la tête et vu la pente je me suis dis : « tiens, si on transformait les bouteilles en jardinière et qu’on continuait notre vie de batracien en apnée ? ». Cependant, la plongée en bouteille reste un très beau choix d’exploration pour les épaves et les réseaux souterrains. Si je n’étais pas si gaffeuse et tête en l’air, la plongée spéléo me tenterait énormément, surtout depuis que j’ai découvert les cénotes en apnée.
C'est indéniable : vous avez une réelle connexion avec l'océan, et ses habitants, comment l'expliquez-vous ?
En effet, j’ai un « gros problème » avec l’océan depuis que je suis enfant. Je pense qu’il n’y a rien de mystique. C’est plutôt de l’ordre physiologique, psychique et sûrement chimique (les atomes et tous ces micro-échanges qui me dépassent). Je n’ai encore trouvé aucune étude aboutie qui expliquerait pourquoi l’élément marin peut agir comme une vraie drogue sur mon cerveau et sur mon corps. Privée d’immersions et d’apnée profondes, je perds le sommeil, et la vie sociale devient un vrai calvaire. Les gens vous parlent, vous essayez de les écouter mais votre esprit reste sous l’eau. Pour peu qu’ils aient un grand nez vous les imaginez en espadon tout le temps de la conversation. C’est très gênant. Cette connexion à la mer et à ses habitants est, je pense, le fruit d’une somme de besoins vitaux et endémiques. Celui d’aimer le silence, la sensualité de l’eau et de constater depuis enfant que sous l’eau, l’imaginaire n’a pas de limite. Chaque créature marine est un chef d’oeuvre à la fois artistique et high-tech.
Quant au fait d’avoir le privilège d’interagir avec les poissons et les cétacés, ça n’a rien de mystérieux. Seul le temps passé à l’eau, les heures à outrance depuis plus de 30 ans, crée cette alchimie et cette hypersensibilité au milieu. Je suis une terrienne faite de poumons et non pas de branchies, il faut garder ça en tête.
Quand ado vous avez failli vous noyer plusieurs fois en surf, vous comprenez vite que savoir « lire une vague », ou ressentir le moindre changement de courant ou de couleur d’eau, vous évitera de faire n’importe quoi n’importe quand. Puis vient le moment où l’apprentissage laisse place à l’instinctif. Vous évoluez sous l’eau sans avoir à réfléchir, les choses se font naturellement, comme si étiez né sous l’eau. Vos capteurs sont hyper affutés et vous anticipez mieux vos immersions.
Pouvez-vous nous raconter votre plus belle plongée, et la pire ? L'endroit le plus dangereux ?
- La plus belle ? impossible !!!! Trop d’émotions différentes d’une apnée à l’autre.
- La plus poétique : ma rencontre avec les baleines à bosses et leur chant si troublant.
- La plus « adrénaline » : l’apnée avec les requins
- La plus insolite celle dans la grotte de James Bond
- La plus sublime : la rencontre avec le requin marteau
- La plus touchante celle avec le lamentin
- La plus surréaliste celle dans l’aquarium du Prince Albert de Monaco avec lui de l’autre côté de la vitre
- La plus mystérieuse et lumineuse celle dans les cénotes...
La liste est encore longue mais j’ai peur que vos lecteurs s’endorment.
Ma pire apnée : à 5 ans dans la baignoire avec mon grand frère qui avait apparemment décidé ce jour-là de tester un record no limite en m’appuyant la tête sous l’eau.
L’endroit le plus dangereux ? Le Marineland d’Antibes !
Quand j’ai demandé à faire une apnée avec leurs orques (pour essayer de partager quelques instants leurs « fucking » geôle) , c’était comme demander à quelqu’un « c’est bon je suis bardée de lard, tu peux me jeter aux crocos stp ? ». A chacun d’en tirer ses propres conclusions, et ceux qui auront vu le docu « Black Fish » comprendront.
Pour moi, il n’y a pas d’endroit dangereux, seulement des hommes dangereux. Les lieux et les animaux sont ce qu’ils sont. C’est à nous de faire des choix d’apnée, de rencontre, d’adaptation. Ne rien forcer. Observer, discerner et avoir la sagesse de ne pas y aller. Par exemple je rêve de nager avec un hippopotame, mais il paraît que c’est plus dangereux qu’un crocodile. Donc je vais passer du temps et peut-être des années à discuter avec un spécialiste en hippopotame, puis sûrement des mois à les observer, pour peut-être ne jamais me mettre à l’eau avec eux (ou y envoyer ma belle-mère en crash test).
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui rêve de faire de la plongée en apnée ?
D’être chargé de com' dans un club de cyclistes qui tiennent absolument à venir vous faire la bise après une course de 100 km en plein mois d’août par 40 degrés et qui dégagent une odeur de fennec. C’était mon meilleur entrainement d’apnée en fractionné. Cette année là, j’ai fais un max de podium.
Et plus rationnellement, le meilleur conseil que je puisse donner : faire de l’apnée parce qu’on a envie d’explorer la mer mais aussi ses propres sensations. Je pense que le premier réflexe est de se rapprocher d’un club afin de commencer avec les règles de sécurité indispensables. Il ne faut jamais perdre de vue que l’apnée est un sport étrange, parfois sournois car il va à l’encontre du premier réflexe de vie : Respirer. Donc sécurité avant toute chose !
Au-delà de vos plongées aux quatre coins du monde, de nombreuses causes vous tiennent à coeur (Keep a Breast, Non Toxic Revolution) : pouvez-vous nous en parler ?
Ils font un travail formidable ! Quand Lorène Carpentier, responsable de Keep A Breast m’a demandé de rejoindre leur cause en tant qu’ambassadrice apnée j’ai été touchée. Keep A Breast apporte une réelle énergie et des solutions concrètes concernant le cancer du sein (application smartphone pour apprendre aux femmes l’auto-palpation par exemple). Ils corrèlent tout cela avec la Non Toxique Revolution qui démontre quotidiennement les aberrations auxquelles nous sommes tous soumis par l’habitude : utilisation inutile de plastique, les pesticides et autres poisons dans les nourritures industrielles qui favorisent les cancers, les fraises consommées en décembre alors que ça pousse en juillet, les tomates de supermarché remplie d’eau et sans goût, les cosmétiques bourrés de cartilage de requin, etc. Ce qui me plait beaucoup chez Keep A Breast, c’est que leur communication sur le cancer du sein n’est pas axé sur l’anxiogène facile (blouse blanche, femme mutilée, affiche glauque).
Keep a Breast choisi comme ambassadeurs des sportifs, des artistes. Ils ont d’ailleurs réalisé des moulages en plâtre de bustes de femmes, qu’ils ont fait décorer par de sacrés artistes et qu’ils exposent dans le monde entier.
J’ai passé une journée avec eux cet été à Biarritz, Keep A Breast avait un superbe stand sur la grosse compétition de surf en cours.
De nombreux enfants sont venus s’inscrire aux ateliers de sensibilisation. C’est encourageant...
Et enfin, votre destination de rêve, celle pour laquelle vous pourriez tout quitter ?
Encelade (une des lunes de la planète Saturne, ndlr) !!! Une planète bleutée et magnifique, qui crache des geyser de glace et qui renferme des océans sous-terrains. Je prends des douches glacées tous les matins pour être prête le jour où Richard Branson aura eu pitié de mon rêve et viendra me chercher en fusée Virgin Galactic.
Souvent la nuit je rêve que je fais de l’apnée sur la Lune et que je découvre des poissons lunaires brillants comme des étoiles.
Et puisque je dois me contenter d’un Boeing, je quitterai tout pour le Mexique, d’ailleurs je vous laisse, mes valises sont prêtes.
Pour conclure, je souhaiterais juste faire un clin d’oeil à mes sponsors Omersub et Aquasphère, suffisamment kamikazes pour me suivre dans toutes mes inepties sous-marine. Grâce à eux je peux aller crash-tester du matériel dans n’importe quel endroit de la planète et par toutes les températures. De la combi épaisse comme de la peau de mammouth au maillot hydrodynamique en passant par le blouson anti-tempête. Au-delà de l’équipement, ils me poussent vers le haut dans tous mes projets.
Le prochain, c’est eux qui me le proposent pour 2017, une sorte de stage commando en plein milieu de la Corse avec Umberto Pelizzari où un hélico viendra nous lancer le matériel d’apnée et de survie. Je n’ai pas osé demander plus de détails, j’ai peur des réponses…!!
Un grand merci à Francine pour sa disponibilité et ses réponses passionnantes.
Immersions, plongées insolites à couper le souffle
Francine Kreiss
Editions Vagnon
35 €