Bernard Stamm : « Je ne suis pas un kamikaze »

Voiliers
Par Propos recueillis par Fabrice Amedeo

A peine sorti de l’hôpital et enfin en famille, Bernard Stamm a répondu dimanche matin aux questions du Figaro Nautisme et est revenu sur son naufrage lundi soir au large de la Bretagne dans la tempête Dirk.

A peine sorti de l’hôpital et enfin en famille, Bernard Stamm a répondu dimanche matin aux questions du Figaro Nautisme et est revenu sur son naufrage lundi soir au large de la Bretagne dans la tempête Dirk.

La voix est encore tremblotante. Bernard Stamm est encore sous le choc. Sous le choc d’avoir perdu son bateau bien-sûr mais surtout sous le choc d’avoir été remonté à bord du cargo venu les secourir sans savoir si son coéquipier, laissé derrière lui sur un bateau qui coulait, allait réussir à suivre. Bernard Stamm et son coéquipier Damien Guillou sont passés très près du pire dans la nuit de lundi à mardi lorsque leur 60 pieds IMOCA s’est cassé en deux dans la tempête et qu’ils ont dû monter à bord d’un cargo, de nuit dans une mer démontée. Joint dimanche matin, Bernard Stamm est revenu sur son naufrage pour le Figaro Nautisme. Il explique aussi comment il s’est retrouvé dans ce vent fort et justifie son choix de marin d’être parti en mer malgré les conditions météo annoncées.

Le Figaro Nautisme.- Comment a commencé votre naufrage ?

Bernard Stamm.- Cheminées Poujoulat se trouvait environ à 180 milles de Brest et à 200 milles de la pointe sud-ouest de l’Angleterre. La mer était très formée, elle déferlait régulièrement, mais tout avait été anticipé à bord pour faire face à ce coup de vent : nous étions sous tourmentin avec 4 ris dans la grand-voile. Tout était sous contrôle : nous étions au portant et notre route ressemblait un peu à une fuite dans du vent fort. Le bateau avançait à 12-13 nœuds en dehors des surfs et se comportait très bien. J’étais à la table à cartes avec mon coéquipier Damien Guillou quand, dans une vague, nous avons entendu un énorme craquement : le bateau s’était cassé en deux. Il était alors 20h30 environ, lundi soir en France.

Ensuite tout s’est précipité ?

Oui. Damien est sorti immédiatement sur le pont en criant « le mât est tombé » mais il a tout de suite vu que c’était le bateau qui était cassé. L’étrave était à 45 degrés de l’axe du bateau. J’ai aussitôt fermé les cloisons étanches pour qu’il ne coule pas trop vite. Quelques instants plus tard, le mât est tombé et nous avons déclenché les secours car il fallait quitter le bateau. Les secours sont arrivés assez rapidement sur zone. Nous avons d’abord été survolés par un avion puis par un hélicoptère qui nous a demandé de mettre un radeau de survie à l’eau pour tenter de nous hélitreuiller. Mais nous n’avons jamais réussi à éloigner le radeau du bateau et avons dû l’abandonner avec tout notre matériel de sécurité à bord : l’eau, le bidon de survie, le téléphone Iridium, les fusées de détresse pour être repérés… A cet instant, notre situation s’est vraiment tendue. Et nous n’avions plus accès à notre deuxième radeau de survie qui était au fond du bateau. L’avion a alors lâché cinq radeaux au-dessus de notre tête mais nous n’avons jamais réussi à en récupérer un seul. Il faisait nuit, on ne voyait rien et la mer était vraiment mauvaise. Un cargo qui s’était dérouté pour nous apporter assistance est alors arrivé à proximité de Cheminées Poujoulat.

Monter à bord d’un cargo de nuit en pleine tempête doit être une opération très périlleuse ?

Oui, c’était loin d’être gagné. Le navire a manœuvré pour se mettre au vent de Cheminées Poujoulat. Ses membres d’équipage nous ont lancé un bout avec leur lance-amarre mais nous n’avons jamais réussi à voir la ligne dans la nuit noire. Durant la manœuvre, nous avons dérivé et nous sommes retrouvés au niveau de l’étrave du cargo. Là, c’était la catastrophe. Cheminées Poujoulat tapait contre le bulbe d’étrave du cargo et commençait à être sérieusement endommagé. Les marins ne nous voyaient pas de la passerelle, ils n’entendaient pas ce que je leur hurlais à la VHF. Heureusement le cargo était chargé et ne levait pas trop dans les vagues : il aurait pu nous écraser.
Notre voilier commençait à couler sérieusement. Le cargo a alors fait une nouvelle manœuvre pour se mettre à notre vent et nous placer plus proche de son arrière. Cette manœuvre a duré très longtemps. On leur a demandé de nous envoyer un radeau de survie car il était hors de question de monter à bord avec des vagues si violentes. Se faire tirer à bord du cargo était un coup à se faire casser en deux.
Finalement, ils ne nous ont pas entendu et nous ont envoyé une grosse amarre. Je m’y suis attaché avec Damien et ai été brutalement projeté contre le roof de mon bateau avec Damien derrière moi. Il a jugé plus prudent de se détacher et moi, j’ai été tiré à bord. Les membres d’équipage du navire m’ont tiré pendant 60 mètres. J’ai passé du temps sous l’eau mais je ne pensais qu’à une chose : Damien que j’avais laissé derrière moi. J’essayais de ne pas le perdre de vue. Je voyais la lumière de sa lampe frontale, c’était plutôt bon signe. En arrivant à bord, j’ai hurlé que mon coéquipier était resté sur le bateau qui coulait. Les marins m’ont saisi et m’on dit qu’ils s’en occupaient. Ils lui ont lancé une bouée et l’on tiré. Ca s’est mieux passé pour lui, il a passé moins de temps sous l’eau et s’est rapidement retrouvé à bord. De cette expérience, ce qui m’a le plus marqué, c’est la peur de perdre Damien.

Etait-il raisonnable d’aller naviguer dans une telle mer en convoyage ?

C’est sûr qu’il y avait beaucoup de vent mais nous y sommes allés en connaissance de cause. Nous avons fait d’abord une route nord en bâbord amure au départ des Açores puis avons empanné le dimanche 22 au matin pour faire de l’ouest et faire route vers Brest. Durant toute cette phase nous avons navigué lentement, à 60 % des polaires (de la vitesse cible du bateau ndlr) pour laisser passer le gros de la tempête devant nous. Le dimanche, le vent est rentré assez fort puis il a molli à 35-37 nœuds avec même un court moment à 27 nœuds. Nous avions un schéma clair de la situation et de ce qui allait arriver derrière.

On savait qu’on allait avoir 3 ou quatre heures de vent très fort mais ces bateaux sont faits pour ça. On avait 45 nœuds et régulièrement 50 (90 km/h). On ne prépare pas des tours du monde en naviguant par 15 nœuds de vent en Bretagne. Peu avant l’accident, on n’a jamais ressenti le besoin de tout affaler, ce qui est une possibilité dans des conditions trop fortes. Le bateau se comportait bien. Le front était passé et nous étions dans la dépression qui se creusait par devant.

Le gros du vent était devant. Il faut que les gens comprennent que nous n’avons pas eu les 75 nœuds qu’ils ont eus dans leur jardin en Bretagne. Quand nous avons cassé, il nous restait une heure de vent fort avant que le vent ne mollisse. Plus tard, le vent est reparti fort au moment du sauvetage mais nous n’aurions jamais dû nous retrouver dedans si nous avions continué notre route.

J’ai une réputation de tête brulée, ça me colle à la peau mais ce n’est pas ça du tout. Je ne suis pas un kamikaze. Nous avons fait les choses de manière réfléchie. Le problème, c’est ce bateau, qui est prévu pour affronter des mers difficiles, qui se casse en deux. Il faisait nuit et j’étais dans la cabine. Mais une chose est sûre : en naviguant en sous-vitesse come nous le faisions, Cheminées Poujoulat n’a pas pu enfourner énormément, c’est ça qui est incroyable. Quand on attaque comme des « bourrins » en course, alors là oui on enfourne et on tire sur nos bateaux. Mais là, nous naviguions totalement en sécurité et le bateau était peu sollicité. C’est incompréhensible.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Pour l’instant, l’avenir s’écrit à court terme pour moi. Il faut que j’arrive à me poser, à comprendre pourquoi mon bateau s’est cassé en deux comme ça. Le même accident dans le Grand sud sur le Vendée Globe, ça fait un mort potentiel. Il faut que l’on comprenne et alors seulement on pourra penser à la suite.
 

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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