
Ancien voilier de course devenu yacht de luxe, le Phocea a une histoire chargée. Il est passé entre les mains du skipper Alain Colas, de l'homme d'affaires Bernard Tapie et de la star de la jet set internationale, Mouna Ayoub, qui l'a redécoré à grands frais. Son mobilier passera par la maison Drouot en début de semaine prochaine.
Le Phocea retrouve la lumière à l'occasion d’une vente aux enchères, les 28 et 29 avril à l'hôtel Drouot. Argenteries, bibelots, meubles, linge de bord mais aussi instruments de navigation anciens, comme des compas de relèvement, sextants ou longues-vues. La cloche de pont en bronze cherchera aussi un nouveau propriétaire avec un prix de mise en vente aux alentours de 400 euros. « La vente reflètera la plus haute expression du raffinement et de l'art de vivre, en présentant des objets de haute décoration provenant de maisons parmi les plus prestigieuses comme Baccarat, Bulgari, Christofle, Daum, Hermès et Puiforcat », souligne la célèbre maison Drouot. De croustillantes anecdotes accompagnent également certains lots. Mouna Ayoub a ainsi sauté dans la mer avec une robe couture de Jean Paul Gaultier, l'ensemble "Bateau-Lavoir", estimée entre 10.000 et 20.000 euros. "Un matin au réveil, j'ai cru que le Phocéa coulait, alors j'ai mis cette robe facile à enfiler", raconte-t-elle, amusée. Elle s'est retrouvée à l'eau en haute couture, avec un sac contenant l'équivalent de 7 millions d'euros de bijoux. Cette vente aux enchères est la nouvelle étape de la vie mouvementée du yacht de 72 mètres.
Un géant destiné à être mené par un homme seul
Le Phocea est né pour enjamber les vagues et collectionner les records. Le voilier, initialement baptisé Club Méditerranée, a été conçu par Alain Colas, impressionnant vainqueur de la Transat anglaise en 1972. Bien décidé à renouveler cette performance en 1976, le marin a misé sur ce géant de plus de 70 mètres à la pointe de la technologie. C’était alors le plus long et le plus rapide monocoque du monde. Mais sa première course ne s’est pas passée aussi bien que rêvé. Des avaries à répétition – ruptures de drisses dans la tempête - et une escale forcée de 36 heures à Terre-Neuve, ont compliqué la donne, mettant à rude épreuve le skipper à peine remis d’une grave blessure au pied. Alain Colas a franchi la ligne d’arrivée en second, sept heures après Eric Tabarly sur Pen Duick VI. Un bateau vainqueur près de quatre fois moins long que Club Méditerranée. Et Alain Colas n’était pas encore au bout de ses peines. Le comité de course l’a ensuite pénalisé pour avoir reçu de l’aide au départ de Terre-Neuve : des coéquipiers avaient aidé le marin à hisser les voiles du quatre-mâts. La déception est amère. Mais le voilier est toujours une très belle vitrine et il entre dans une période de démonstration, d’abord au bicentenaire des Etats-Unis, avec de vieux-gréements majestueux, puis sur les côtes françaises. Lorsqu’Alain Colas disparaît en mer, pendant la Route du Rhum 1978, le bateau s’endort le long d’un quai de Papeete. Il y restera quatre ans, jusqu’à ce que Bernard Tapie, jeune homme d’affaires, le découvre par hasard. C’est le coup de foudre. Le voilier entre alors en chantier pour revêtir ses habits de yacht de luxe, sans perdre ses capacités sportives. Il bat successivement le record de la distance parcourue en une journée – 900 kilomètres – et celui de la traversée de l’Atlantique avec passagers (non reconnu par le WSSRC). Son destin de coureur au large est derrière lui. Le Phocéa est désormais encombré de tableaux, jacuzzi et sauna. Avec ses nombreuses cabines invitées, le navire peut embarquer jusqu’à 37 personnes, dont 15 membres d’équipage. Il symbolise la réussite de son propriétaire en pleine ascension : président de l’Olympique de Marseille puis député et ministre. Mais il le suit aussi dans le tourbillon judiciaire. Le Phocea est saisi par le Crédit lyonnais en avril 1996 et il plonge à nouveau dans le sommeil dans le port d’Antibes. Son prix de vente de l’époque – 70 millions de francs - refroidit les potentiels acheteurs.
Coup de foudre pour un nouveau bijou
Nouveau réveil et nouvelle montée en gamme avec Mouna Ayoub, fraîchement divorcée de la trentième fortune saoudienne. La star de la jet set internationale, qui a expliqué lorgner sur le voilier depuis plusieurs années, l’achète aux enchères en 1995 pour l’équivalent de 7 millions d’euros (36.5 millions de francs). Avec cette nouvelle propriétaire, le Phocéa laisse derrière lui ses performances sportives et une partie de sa voilure. Depuis la Transat anglaise 1976, le Phocéa a doublé son poids. Finis les records de vitesse, bienvenus les stars du gotha et les têtes couronnées. Le Phocéa gagne un pont supplémentaire et une décoration si luxueuse que la richissime femme d’affaires doit vendre quelques diamants au passage. En contrepartie, le voilier, surnommé le « bateau Couture », remporte un Superyacht Award for best refit en 1999. Puis, après avoir reçu des dizaines de stars (Sandra Bullock, Naomi Campbell, Céline Dion, Jack Nicholson, Lionel Richie...), Mouna Ayoub offre son bijou des mers en location pour 200.000 euros la semaine, avant de le mettre en vente. En 2010, le Phocéa a rencontré un nouveau propriétaire. Une étape douloureuse pour Mouna Ayoub. "J'ai pleuré, j'ai tellement pleuré", assure-t-elle. Son fils aîné l'a vendu alors qu'elle était hospitalisée, soignée pour anorexie, assure la plantureuse brune, qui dit avoir 57 ans. Elle a découvert que le yatch ne lui appartenait plus à sa sortie d'hôpital.
Le luxueux bateau avait été vendu à un Franco-canadien puis à un Thaïlandais, relate Mouna Ayoub. Mais elle n'a pas renoncé au Phocéa. "Je garde le rêve de le racheter, c'est mon bateau. C'est ma deuxième fille. Quand j'ai une idée en tête, je sais que j'atteins souvent mon objectif", affirme-t-elle d'un air décidé.
L'argent qu'elle gagnera avec ces enchères puis, peut-être, une vente de ses vêtements de prêt-à-porter, l'aidera à atteindre son but, espère-t-elle.
Le catalogue de la vente est consultable en ligne à cette adresse.