
Un chant s'élève de la plage de Hanga Roa, l'unique village de l'Île de Pâques. Au pied d'un moai, statue monumentale typique de l'île, vingt athlètes presque nus prient avant de se jeter à la mer. Ce jour-là, sur l'Île de Pâques, ils vont s'affronter dans l'écume.
C'est le haka honu : le surf... sans planche. A cent mètres du rivage, ces athlètes attendent la bonne vague, qui peut s'élever jusqu'à deux mètres. Les meilleurs glissent jusqu'à la plage, en se relançant par un mouvement de papillon quand la vague les dépasse, devant plusieurs centaines d'îliens et de touristes qui les acclament.
Plus ils surfent loin, plus ils apportent de points à leur champion, l'un d'entre eux sera nommé aito (guerrier, ou athlète) de l'île pour l'année. C'est la Tapati, le grand festival culturel de l'Île de Pâques. Déjà, les athlètes sortent de l'eau, et sont aussitôt assaillis par les touristes chiliennes, françaises, allemandes ou russes qui veulent poser auprès de ces hommes musclés, le corps peint de rouge ou d'ocre, habillés d'un simple string végétal. Une juge-arbitre repousse une tortue marine égarée au milieu des surfeurs, puis autorise les adolescents à se jeter à l'eau. Eux surfent sur des fagots de totora, un roseau local.
La veille, ils galopaient sur une piste aride : à la Tapati, il y a des épreuves tous les jours. Et les Rapa Nui (nom donné aux habitants de l'île) sont aussi à l'aise à cheval que dans l'eau. Ce soir, toute l'île converge à Hanga Vare Vare, la grande scène de spectacle de la Tapati. Soixante chanteurs d'un côté, soixante de l'autre. Chaque groupe doit enchaîner deux chansons, puis laisser la place à l'autre. Le premier groupe qui se trompe a perdu. Mais personne ne se trompe jamais, et le répertoire est si vaste qu'ils vont chanter plus de trois heures, et les juges déterminent le vainqueur. Tous les soirs de la Tapati, pendant deux semaines, le village vibre jusqu'à deux heures du matin. Concours de peintures sur corps, de costumes traditionnels à base de plumes et de coquillages, mais aussi grandioses chorégraphies de troupes d'une centaine de danseurs : le festival culturel est suivi par les quelque 8.000 habitants du village, et plusieurs milliers de touristes.
Dès le lendemain matin, les pêcheurs sous-marins se mesurent sous l'eau, armés d'une simple pique. Ils peuvent descendre jusqu'à 30 mètres de profondeur, le long du récif. Avec leur arme rudimentaire, ils attrapent surtout des petits poissons, des rougets ou des perroquets. Mais les meilleurs enfilent une vingtaine de prises sur leur crochet, pour un poids total de près de dix kilos.
L'épreuve la plus prestigieuse a lieu le jour : c'est le triathlon traditionnel, au Rano Raraku, le volcan où étaient taillés les Moai, ces géants de pierre. Et une fois par an, les meilleurs athlètes de Rapa Nui s'affrontent en ramant sur des pirogues constituées de 1.500 roseaux, puis en courant parmi les Moai, et enfin à la nage, sous les vivats d'une population en transe.