Entre les 40émes rugissants et les 50èmes hurlants
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Pourquoi font-elles tant de bruits ces latitudes redoutées ? Les skippers du Vendée Globe se disent tous impatients de quitter la zone alambiquée de l’anticyclone de Sainte-Hélène pour se trouver propulsés dans la tourmente des 40èmes rugissants. Ils semblent plus attirés par cet univers, si puissant qu’ils ne seront parfois que fétus de paille subissant coup de vent, plutôt que par l'univers des hautes pressions qui peut les engluer mollement. Ces marins sont pressés de substituer la virile bagarre dans « le baston » à la subtile stratégie dans la « pétole ».
Comme ayant le vertige, le skipper soudainement atteint d’acrophobie, est attiré, dans la crainte, des sommets vers le vide, des hautes pressions vers les basses. Ce qui l'attire c’est évidemment le vent poussant et puissant pour afficher de superbes moyennes et des pointes grisantes. Il rêve de surfer sur cette houle légendaire haute de 6 mètres, parfois de plus de 10 mètres. Son bateau a été conçu pour cela.
Bientôt il sera obnubilé par le vacarme du vent sur les drisses, sur le mat, sur le bateau, sur la mer… Un plaisancier sait ce qu’évoque le bruit du vent qui claque les drisses et siffle le haubanage lorsqu’il qu’il est au port à consulter la météo. Il peut donc imaginer ce que ressent le skipper à l'écoute des 40émes et 50émes de l’hémisphère sud. Mais le vent n'est pas seul à chanter, il y a le bastringue que font les vagues en déferlant partout sur le dos d'une immense houle de provenance lointaine. Tout là-haut, au sommet de cette grande houle qui l’a rattrapé, la vague plus courte, plus modeste se fait décoiffer par le vent et exploser en une infinité d’embruns.. quand ce n’est pas le mur de la houle elle-même qui s’écroule. Il n’y a pas besoin de plages, de galets qui roulent, la mer se suffit à elle-même pour gronder, rugir, hurler.
Mais pourquoi ces latitudes sud sont-elles tellement différentes de leurs consœurs de l’hémisphère nord, de celles que nous connaissons bien puisqu'elles bornent nos navigations le long des côtes françaises ? 40ème c'est la latitude des Balèares. 50ème c'est la latitude de la Manche.
La première réponse est toujours, parce que, dans le sud, il n’y a pas de continents, pas d’obstacles (à part le Cap Horn) pour entraver la folle course des dépressions autour de la terre. Mais il y a aussi le fait que si l’Arctique est un océan glacé, l’Antarctique est un continent élevé (3000 mètres environ) et sa température, même au printemps, est particulièrement basse. Les masses d'air qui se détachent de l’Antarctique sont beaucoup plus froides que celles qui s’évadent de l’Arctique. Les dépressions qui naissent des conflits air chaud - air froid trouvent là l’occasion de se creuser d’avantage.
Ces dépressions à si fort caractère, et qui ont la place de s’exprimer, sont à l’origine l’ampleur exceptionnelle de la houle qui fréquente ces parages. Pour se développer pleinement, la houle a besoin de la force du vent, de sa durable compagnie et d’un long fetch, c’est à dire d’une grande distance sur laquelle le vent peut l’entretenir, la nourrir. Or le vent d’ouest tempétueux se déplace généralement en même temps que la houle qu'il soulève. Il peut l'accompagner pendant plusieurs jours t a le temps e lui communiquer un maximum d'énergie. Et plus elle grossit, cette houle, plus elle va vite… elle peut même prendre de l’avance sur la dépression. Les concurrents sont parfois rattrapés par une houle énorme sans que le vent soit là. En s’échappant de la dépression l’onde garde sa longueur mais perd, jour après jour, de sa hauteur. Selon son âge elle présente une pente plus ou moins forte et les vagues qui déferlent sur ses pentes, se comportent comme en arrivant sur la plage. Pente douce, déferlement glissant. Pente forte, déferlement plongeant. Pente très forte déferlement frontal. A chaque type d’effondrement son ambiance sonore. Je suis sûr que les skippers aux oreilles averties savent les distinguer les yeux fermés. Je suppose aussi qu’ils ne les entendent, ne les écoutent pas, de la même façon le jour et la nuit.
Ca rugit dans les 40èmes. Ca hurle dans les 50èmes.