Les déferlantes glissent, plongent ou gonflent

A chaque annonce de tempête ou d’arrivée de fortes houles, les spectateurs sont nombreux à se précipiter pour admirer le déchaînement des paquets de mer qui explosent sur les rivages. Il y a de la fascination à ressentir la puissance de ces vagues qui viennent se suicider sur nos côtes. D’autres sont mortes au large, loin des regards, mais celles-ci sont héroïques, celles qui viennent après une secrète épopée mourir à nos pieds.
Une vague a deux manières de terminer sa vie, soit d’épuisement, soit par accident.
D’épuisement bien sûr parce que le voyage fatigue et consomme son énergie. Si le vent vient à manquer pour l’alimenter, ou pire si elle rencontre un vent contraire qui la freine, la vague s’amortie jusqu’à disparaître.
L’accident c’est le déferlement.
Au large, quand le vent est assez fort pour décapiter la crête d‘une vague, celle-ci, alors en pleine force de l’âge, s’en sort, généralement mutilée, diminuée, mais toujours alimentée et pouvant continuer sa route. En fait, la cambrure d’une vague, le rapport de sa hauteur sur sa longueur, devient précaire lorsque sa hauteur dépasse le 1/7ème de sa longueur. Ainsi une vague dont la hauteur atteint 3 m alors que sa longueur n'est que de 20m s’écroule rapidement.
A la côte, par contre, la vague termine sa course à l’issue d’un long voyage en s’écrasant sur elle-même et c’est irrémédiablement la fin de vie. Quel que soit sa façon de percuter le dur, elle ne s’en relèvera pas.
Le déferlement est d’autant plus impressionnant que la vague est grande quand elle arrive. Mais la pente du plateau continental joue son rôle aussi. Plus cette pente est forte, plus le déferlement est puissant. Une vague n’est pas seulement une onde qui se propage à l'horizontale sur la surface de l’eau, elle est aussi construite à la verticale sur des oscillations. Les plongeurs qui sont parfois méchamment ballotés à 20 mètres sous la surface connaissent bien cette dimension de la houle. Et lorsque ces oscillations, qui se propagent d’autant plus en profondeur que la vague est grande, lorsque ces oscillations touchent le fond, c’est comme si la vague subissait un croche-pied et après avoir trébuché sur quelques longueurs, finissait par s’écrouler de tout son poids.
Il y a plusieurs façons de tomber, plus ou moins élégantes. Et l’on nomme ces figures de style en qualifiant le déferlement de glissant, plongeant, gonflant.
Il est glissant quand la crête va plus vite que la vague elle-même. On voit alors beaucoup d’écume au sommet. C’est le déferlement typique d’un rivage à faible pente.
Il est plongeant quand il forme, pour le plus grand plaisir des surfeurs, une arche ou même un tube formé par le jet d’eau qui se retourne. Typique des plages à pente moyenne, on comprend que cette déferlante est dépendante de la nature du sol à l’origine du croche-pied (vase, sable, rocher) et de la hauteur d’eau, donc de l’heure de la marée. Chaque spot a ainsi ses propres caractéristiques et offre ses plus beaux déferlements dans des conditions très spécifiques que le surfeur connaît sur le bout des doigts.
Il est gonflant quand la pente du sol est forte et que la vague rencontre le ressac qui s’éloigne de la plage en emportant l’eau des vagues précédentes. Très brutal, c’est un mur qui se présente face à vous, et quand il s’écroule, tout tombe d’un bloc.
Je comprends donc la perplexité des observateurs qui assistent à l’anéantissement des vagues à leurs pieds. On peut deviner le caractère de chacune. Avant d’en arriver là, elles pouvaient être plus ou moins longues, hautes, rapides. Toutes ces caractéristiques qui laissent imaginer le creux de la vague.
Et chacun pourra apprécier qu’être au creux de la vague ne veut pas forcément dire être dans une mauvaise situation psychologique. Si au large ce peut-être effectivement un coup de mou pour le skipper qui perd son vent quand il est dans un creux si profond que son mat ne dépasse plus les crêtes, à la côte le surfeur aura plutôt un coup d’adrénaline en regardant au-dessus de lui déferler la vague qu’il est venu chercher pour la dévaler.
Dans tous les cas on ne reste pas au creux de la vague.