Anthony, Marchand d'émotions
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Il n’y a pas que la couleur du ciel qui offre des variations détonantes à Brest. Il y a le quotidien aussi et ce n’est pas négligeable. Les trois premiers de l’ARKEA ULTIM CHALLENGE-Brest s’étaient offerts le luxe d’arriver pendant les vacances scolaires. Pas pratique pour leurs familles qui souhaitaient vite partir en congé, un peu plus pour ceux qui étaient restés à la maison.
Or ce lundi en début d’après-midi, c’est l’heure de la reprise et ça se sent : les badauds sont moins nombreux à sillonner la côte, ceux que l’on croise pressent un peu plus le pas. On imagine ceux qui ouvrent discrètement le live vidéo au bureau entre deux réunions. On pense à ceux qui sont bloqués à leur poste, à leur obligation, à leur to-do-list. Et on sait qu’il n’y a rien de mieux que le large pour prendre une grande inspiration et oublier, un peu, les tourments du quotidien.
« Je me suis effondré en larmes »
Alors on plonge, comme tous, avec les images du jour et elles sont majestueuses. Ce sont celles d’un Ultim qui vient de boucler un tour du monde. La lumière est puissante, le ciel clair. Actual Ultim 3 ne vole plus depuis longtemps mais qu’importe, il semble un peu plus léger, délesté du poids des « emmerdes » chères à Michel Desjoyeaux qui volent toujours en escadrille lors d’une circonvolution. On a vu embarquer la garde rapprochée du Team Actual, ceux qui n’ont jamais vraiment fermé l’œil pendant le tour du monde et qui étaient là quand il a fallu réparer vite. « Sans eux, je ne serais pas là », dit Anthony Marchand face à la caméra.
Ces premiers mots lui ressemblent : ils sont d’une simplicité confondante mais ils disent tout. « J’étais tranquille et serein au moment de franchir la ligne mais quand ça a été le cas, je me suis effondré, en larmes », lâche-t-il. ‘Antho’ a la barbe de ceux qui peuvent revendiquer le terme d’aventure. Un côté Robinson Crusoé avec un grand multicoque pour remplacer Vendredi, son compagnon d’infortune. Le marin a surtout le regard d’un homme heureux et comblé. « Il a fallu s’adapter à naviguer sans foil… C’était vraiment insupportable mais ça l’a fait. C’est aussi pour ça que l’histoire était belle, je ne regrette rien ».
Et puis la magie a opéré
Avant d’arriver aux pontons, Anthony échange avec son team, ses proches, regarde ses équipiers reprendre la barre. Sentiment étrange, presque vertigineux de voir d’autres prendre la main de ce qu’il s’est évertué à faire avancer, seul, pendant 64 jours. Et puis il a fait son entrée dans le port et la magie a opéré : des dizaines de curieux se sont amassés contre les barrières – les héros des mers passent avant tout à Brest -, ‘Antho’ a réussi à allumer les fumigènes et, au moment de se présenter face aux pontons, a éclaté en sanglots une nouvelle fois.
Les larmes étaient toujours au coin de l’œil quand ‘Antho’ a pris le micro. Leçon de lucidité, d’humilité, témoignage simple d’un skipper qui est allé au bout de lui-même. « Je savais que le corps humain était capable de se surpasser mais là, je l’ai vu sur le long terme ». Il évoque « l’énergie folle » déployée, le fait de faire de la voile pour « être repoussé dans ses retranchements » et ce tour du monde « fait en solitaire et en même temps en équipe ».
Un peu plus tard, il a été félicité par le trio de tête, les visages toujours un peu fatigués mais illuminés de sourires de Charles Caudrelier, Thomas Coville et Armel Le Cléac’h. Il y a eu peu de mots entre eux mais les regards disaient beaucoup du respect qui les anime. « Maintenant, je sais que tu sais ce que je sais », dit souvent Coville pour évoquer ce que le commun des mortels ne pourra jamais savoir. Il y en a un autre qui sait, depuis quelque temps, un qui promet de revenir « un jour » et qui savoure. C’est Anthony Marchand.
Source : ARKEA ULTIM CHALLENGE - Brest