Joseph Bizard, directeur général OC Sport « On a vécu une aventure collective dont on se souviendra très longtemps »

Figaro Nautisme : La course touche bientôt à sa fin. Le pari est-il réussi, les objectifs atteints ?
Joseph Bizard : « Objectifs atteints et dépassés ! Ce qu’on ne souligne pas assez, c’est d’abord que nous avons pris énormément de plaisir à vivre cette épreuve océanique et à l’organiser avec nos partenaires, les teams et les marins. Parce qu'il ne faut pas oublier que si on crée des grandes courses au large, c'est parce que ça fait rêver le public et vibrer les passionnés. Ce sont des émotions très spéciales, exceptionnelles.
Lorsqu’on crée des formats sportifs aussi engagés, avec des émotions brutes et intenses, ça rayonne sur tout l’évènement. Cela fascine les gens autant que cela nous fascine en tant qu’organisateurs, et ça entraîne tous les partenaires et les gens qui nous entourent. Et pour moi, c’est le bilan le plus positif. On a vraiment vécu quelque chose d’unique, une aventure collective dont on se souviendra pendant très longtemps. »
Figaro Nautisme : Pour que l’évènement soit beau, il faut aussi que la course soit belle.
Joseph Bizard : « Tout à fait. Au début, on s’était dit « peut-être qu’il n’y aura pas de bateaux au départ » puis ensuite une fois la course lancée « peut-être qu’il n’y aura pas de bateaux à l’arrivée ». Le succès de l’épreuve s’est d’abord bâti sur le travail au long cours réalisé par les teams et leurs skippers pour permettre à six bateaux d’être au départ. Et maintenant on espère qu’il y en aura cinq à l’arrivée. Sur le plan sportif, on a coché cette première case essentielle avec les armateurs et leurs équipes, préalable incontournable : les Ultims, ces fantastiques bateaux peuvent courir en course autour du monde en solitaire. Ce qui, il y a six mois, restait une hypothèse. »
Figaro Nautisme : L’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest a été une vraie réussite auprès du public mais aussi d’un point de vue médiatique ?
Joseph Bizard : « Sur le plan médiatique, on n'avait aucune idée de ce qu'un événement comme cela pouvait donner. Nous savions que l’idée et le concept étaient puissants et nous voulions le partager avec le plus grand nombre. Il fallait donc hisser le projet au niveau national le plus possible. Avec des retombées médiatiques que nous estimons à ce jour aux alentours de 50 millions d'euros en Equivalent Achat d'Espace, cet objectif-là est atteint. Si on regardait rapidement les autres grandes épreuves océaniques, ce serait comparable à la 10ème édition de la Route du Rhum en 2014, qui avait réalisé à peu près 50 millions d'euros de retombées. Donc c'est l'équivalent d'une très grande course multi-classes. »
Figaro Nautisme : La règle des escales a été la bienvenue. Sinon, le scénario aurait été bien différent.
Joseph Bizard : « Oui, elle était bienvenue et manifestement on a eu raison de la mettre en place pour garantir la viabilité de l’épreuve, pour raconter une course jusqu'à l'arrivée. Et vu le monde à l'arrivée, le public a vibré quand même avec les marins jusqu'au bout. Quand on déploie ces énergies pour faire des grandes épreuves, il faut savoir être pragmatique. On doit créer les conditions de leur succès. Cette première édition devait d’abord permettre aux teams, à leurs bateaux et aux skippers de boucler la boucle. Chaque chose en son temps.
Par ailleurs, si nous faisons des courses c'est pour les raconter et pour les partager avec le plus grand nombre. Nos événements sont la rencontre entre le public et les marins.
Cela a été le cas au départ à Brest. On a eu 150 000 visiteurs sur le port de Brest, c’est 50 000 de plus que la jauge prévue. C'est 50 % de plus que prévu, je pense qu'on peut considérer que les objectifs sont plus que remplis.
Idem pour l’arrivée : on savait qu’il y aurait du monde pour le vainqueur. On attendait 4 000 personnes, il y en a eu 6 500. Cela a été le cas pour le deuxième et le troisième également.
Voilà donc ce que les escales ont notamment contribué à garantir : de belles histoires de marins qui font le tour du monde sur ces bateaux hors du commun. Et le public ne s’y est pas trompé. »
Figaro Nautisme : Si la règle a sauvé la course, elle mériterait peut-être d’être améliorée. Des marins qui font escale 24h, mettent le pied à terre et vont dormir à l’hôtel… Un problème pour certains puristes ?
Joseph Bizard : « C'est marrant qu’on raisonne ainsi a posteriori. Parce que ces escales étaient la condition sine qua non de l'épreuve. Le tour du monde en Ultim, en solitaire, en course, n'a été possible dans un premier temps que parce qu’il y avait des escales. C'était indissociable du succès sportif de l'épreuve, un compromis qu’il fallait accepter pour permettre à cette aventure de voir le jour.
En réalité, sur le plan sportif, ce que nous ne pouvions pas imaginer, et c'est la délicieuse incertitude du sport, c’est qu'il y allait avoir une telle domination de Charles Caudrelier qui a fait une course exceptionnelle. Escale ou pas. Si tu enlèves cette domination de Charles, le jeu des escales aurait ajouté du piment sur le plan sportif. Il s'est avéré que cela a plutôt enlevé du suspense que ça en a ajouté. Mais ça, on ne pouvait pas écrire le scénario à l'avance.
Malgré tout, il y aura sans aucun doute des sujets à traiter et des éléments à creuser avec les teams et nos partenaires pour la prochaine édition. »
Figaro Nautisme : L’aspect aventure a pu manquer à certains moments de la course. On sait que tous les bateaux ont connu énormément de galères, mais les teams n’ont pas forcément communiqué sur tout. On le comprend d’un point de vue stratégique et tactique. Mais pour le grand public, cela manquait un peu d’histoires de marins aventuriers.
Joseph Bizard : « Tactiquement, il n’y a en effet pas forcément d’intérêt à dire à ton concurrent que tu as des problèmes. Mais oui c’est effectivement un bon point. Il y a un bon équilibre à trouver entre les discours sur la performance qui parlent aux initiés, ceux qui sont capables de lire les cartes, de faire des routages etc. et ce que tu racontes à l’immense majorité des gens qui se passionnent pour ces courses : des histoires d’Homme et de mer. Parce que les histoires de marins, c’est ça l’aventure. »
Figaro Nautisme : Avez-vous déjà prévu une seconde édition ?
Joseph Bizard : « Il y aura une deuxième édition, la ville de Brest et Arkéa sont engagés, ainsi que les partenaires nationaux, la Classe Ultim. Bien sûr, on aimerait bien qu’il y ait plus de candidats. Il pourrait y en avoir entre sept et dix. Et pour les dates, ce sera 2027-2028 à la même période. Cette fenêtre a prouvé qu’il y avait de la place pour un grand événement en hiver à Brest. »
Figaro Nautisme : Il y a un sujet qui revient de plus en plus ces dernières années c’est l’impact carbone dans la course au large. Lorsque les teams font plusieurs allers-retours en avion à l’autre bout du monde pour changer un safran, il y a tout de même un point à soulever…
Joseph Bizard : « L’empreinte des déplacements de nos équipes reste marginale. Nos projets sont d’abord de formidables plateformes d’impact positif sur notre société. D’abord par ce que nous racontons. De l’inconfort, de l’incertitude, le dépassement de soi, des grands espaces, l’ouverture sur la nature. Ces courses servent d’abord à ça. Une fenêtre ouverte sur l’aventure et la mer. Le sujet qui a interpellé par contre ce sont les zones de protection des cétacés. Il y a eu quelques remous. Les bateaux ont eu des collisions pendant la course et il est impossible de dire s’il s’agissait de containers, de bouts de bois ou de faune. Certaines associations ont affirmé un peu trop rapidement qu’il s’agissait de cétacés. Nous constatons malheureusement que ce sont souvent des déchets flottants qui génèrent ces collisions, même dans ces lieux reculés. Raisons de plus pour sensibiliser sur la protection de nos océans.
Par ailleurs, si nous avons mis en place ces zones de protection, c’est justement pour éviter que cela arrive. C’est la première fois qu’une course les met en place, c’est une innovation. Et c’est bien évidemment perfectible. En attendant nous avons été précurseurs sur le sujet. Le Vendée Globe va le mettre en place pour la prochaine édition. Et c’est tant mieux ! Alors oui, on peut toujours faire mieux, mais en attendant on l’a fait.
Pour toutes les courses qu’organise OC Sport, nous mettons en place une stratégie de développement durable assez forte, et ce depuis quatre ans. »
Figaro Nautisme : Bien que la course ne soit pas encore terminée, avez-vous pu avoir un retour des teams, le pari est réussi pour eux aussi ?
Joseph Bizard : « Dans chaque team, il y a une équipe de taille qui porte le marin et qui fait en sorte que le bateau puisse naviguer autour du monde. C’est un défi technologique et sportif. Il y a une bonne vingtaine de personnes dans chaque team, il n’en faut pas moins que ça. Nous espérons qu’ils sont satisfaits car il y a de quoi. Ils ont mené un train d’enfer pour permettre à cette course un tel succès sur le plan technique.
Il faudra évidemment débriefer en fin de course entre nous tous. Une première reste une superbe base pour construire la prochaine édition et nous saurons en tirer les bonnes conclusions. Les retombées médiatiques sont équivalentes à une course multi-classes dans laquelle le gâteau médiatique est forcément réparti entre bien plus d’acteurs aux intérêts différents. Pour l’ARKEA ULTIM CHALLENGE - Brest, tout le monde a contribué et nous avons construit un beau bilan. Sur les réseaux sociaux, nous sommes quasiment montés à 80 000 followers en 4 mois. Il y a un engagement très fort derrière la course.
Côté marins, ce qu’ils disent à l’arrivée, pour les trois premiers du moins, c’est que ce n’était pas du tout gagné que ça marche, mais tous les ingrédients réunis étaient les bons, les teams ont bien bossé. À son arrivée, Armel Le Cléac’h a déclaré que cette course a été pour lui un Vendée Globe puissance 10 en termes d’engagement, d’âpreté. Lui qui a participé à trois Vendée Globe… »
Figaro Nautisme : Certains ont remis en cause l’intérêt sportif de la course. Que leur répondez-vous ?
Joseph Bizard : « Par définition, quand tu organises un match de foot, une course de voitures, tu ne sais pas ce que ça va donner. Il y a une incertitude, une part d’aléatoire.
C’est ce que disait Loïck Peyron, il y a une grande part d'incertitude dans ces épreuves sportives qui font aussi tout le charme de la course au large par rapport à d'autres sports qui sont plus normés. On assume que sur le plan sportif il puisse y avoir un scénario dans lequel tu en as un qui s'échappe, et que le suspense puisse être moindre. Mais le suspense pouvait aussi être généré par le fait d'avoir un skipper tout seul devant qui pouvait casser et se faire rattraper par l'arrière.
Donc l'enjeu ce n'est pas tellement de se dire qu'il y avait ou pas du suspense — le sport c’est un scénario qui n’est pas écrit à l’avance — mais plutôt de mieux raconter ce qui se passe en mer à l’avenir, pour partager l’aventure en marge de l’exploit sportif. »
Les prochains rendez-vous course au large pour OC Sport sont la Transat CIC le 28 avril, le Tour de Belle-Île les 3, 4 et 5 mai et la Solitaire le 25 août prochain au départ de Rouen.