Le récit poignant de son sauvetage, par Fabrice Amedeo.

Par Figaronautisme.com/Fabrice Amedeo

À 11h40 TU ce matin, alors que Fabrice Amedeo faisait route vers Cascais au Portugal - suite à une avarie survenue la veille occasionnant une voie d’eau dans la zone de vie du bateau- une explosion s’est produite à bord de l’Imoca Nexans – Art & Fenêtres suivie d'un incendie. Fabrice a été contraint d’abandonner son bateau qui a sombré au large des côtes portugaises. Les opérations de secours ont immédiatement été enclenchées. Alerté par la direction de course, les services de secours maritimes Portugais ont contacté les navires présents sur la zone de l’accident. Le Cargo M/V MAERSK BRIDA situé a proximité s’est dérouté et l’opération de sauvetage s’est bien déroulée à 14h32 TU cet après-midi. Fabrice est en sécurité à bord du cargo, il n’est pas blessé. Il sera débarqué dans la ville portuaire de Ponta Delgada, située sur la côte sud de l’île de São Miguel, dans l’archipel des Açores.

"Bonjour à tous. Je suis sain et sauf sur un cargo, le M/V MAERSK BRIDA qui va me déposer aux Açores demain matin. Mon Imoca NEXANS - Art et Fenêtres a coulé en flamme sous mes yeux. Ce sont tous mes rêves qui se sont engloutis avec lui".

Le récit de ces dernières heures.

Lundi matin : tout va bien à bord et je fais une super course. Le bateau vole fort dans les grains et la mer est formée. Soudain, je me rends compte que mon ballast a explosé sur une vague et que j’ai plusieurs centaines de litres d’eau dans le bateau. Je m’arrête pour être en sécurité et je commence à tout vider. À ce moment là, les batteries touchées par l’eau tombent en panne et j’ai un black out complet à bord. Je n’ai plus d'électricité : plus de pilote automatique, plus d’ordinateur, plus d’électronique. Je décide, en concertation avec mon équipe, de faire route prudemment vers Cascais.

Lundi après midi : grosse fumée à bord du bateau. Je donne un coup d’extincteur, j’enfile ma TPS (combinaison de survie) j’alerte la direction de course qui demande à un concurrent en Imoca de se dérouter pour me porter assistance en cas de besoin. La fumée finit par s’arrêter. Je décide de reprendre ma route vers Cascais. Je croise James Harayda le skipper de Gentoo qui était venu sur zone pour me porter assistance. Je le remercie et reprends mon chemin. J’assèche complètement le bateau et me prépare à une navigation difficile. Je dors deux heures hier soir pour me remettre de mes émotions puis barre 6 heures cette nuit.

De nouveau 2h30 de sieste puis 7 heures de barre. Peu après 12h30, nouvelle fumée à bord. Suivie d’une explosion. Je retourne dans la cabine à tâtons et parviens à récupérer ma TPS. Mon Grab bag (sac de survie) était resté dans le cockpit. Je retourne chercher mon alliance. Je donne un coup d’extincteur mais rien n’y fait. La fumée n’est pas blanche comme hier mais jaune. Le cockpit se gondole et jaunit. Les embruns d’eau de mer font comme le bruit de l’eau sur une casserole. Je comprends que je vais devoir évacuer. Je préviens mon équipe d’une possible évacuation. Au moment où je raccroche, je suis alors à l’arrière du bateau prêt à déclencher ma survie: un torrent de flamme sort de la cabine et de la casquette. Je suis au milieu des flammes. Je ne peux même pas ouvrir les yeux. Je parviens à pousser le radeau de survie à l’eau et à sauter. Normalement le bout qui tient la survie au bateau est sensé lâcher. Il ne lâche pas. Le bateau, que j’ai eu le temps de mettre à la cap mais qui avance encore poussé par une mer formée, tire la survie qui se remplit d’eau. Je parviens à monter à bord sans la lâcher. Je crois que c’est ici que tout s’est joué et que les choses ont basculé du bon côté. Je me dis « si tu veux vivre tu as quelques secondes pour trouver le couteau et couper ». L’Imoca me tire à lui. Les vagues me ramènent dangereusement à lui. Je trouve finalement le couteau et coupe. Mon radeau dérive sous le vent de l’imoca qui est en flammes. Il va mettre 30 minutes à sombrer. Je lui ai parlé et l’ai remercié. Nous devions faire le tour du monde ensemble dans deux ans.

Ensuite il faut s’organiser. Le téléphone satellite n’a pas aimé l’eau du radeau et ne fonctionne pas.

Je me dis : « personne ne sait que le bateau a coulé et que tu es dans ton radeau, si tu coupes la balise de ton imoca que tu as pu emmener et que tu déclenches celle du radeau ils auront l’info ». C’est ce que je fais. Je ne trouve pas d’écope à bord. Un Tupperware contenant des piles va me sauver. Je vide le radeau. Commence l’attente. Je me mets en arrière du radeau pour qu’il ne se renverse pas. La mer est très très formée. Je fais le point sur le matériel à bord et me prépare à la suite. Je rassemble les fusées. Mets la VHF autour de mon coup. Je passe trois à quatre heures dans ce radeau. Je suis étonnamment serein. Au ras de l’eau. Le radeau se remplit régulièrement d’eau des vagues qui déferlent légèrement. J’écope mais me sens en sécurité. Je sais pourtant que rien n’est joué.

Toutes les 30 min, pour épargner les batteries, je lance un appel Mayday à la VHF. J’ai pris la VHF du bord grâce à Éric mon Team manager qui a eu le temps de me donner ce conseil juste avant que je ne raccroche. Je garde les batteries de celle du radeau pour la suite.

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Le radeau de survie© Fabrice Amedeo

Au bout d’un moment une voix me répond. Un cargo qui se trouve à 6 milles de ma position arrive sur zone. Je suis rassuré mais ne vois pas comment je vais monter à bord d’un tel mastodonte avec cette mer. Je suis en contact permanent à la VHF avec le capitaine qui ne me voit pas : la mer est formée, il a le soleil dans les yeux et je suis un minuscule point orange. Il m’a dit tout à l’heure « you are alive because you told me : I am approximatively 2 milles from your star board side ». Je suis à environ deux milles de votre côté tribord. Je percute une fusée de détresse. Il me voit. Il me perd. J’en percute une deuxième.  Il me voit et arrive sur zone. Il tente une première approche qui échoue. C’est très impressionnant d’être dans mon radeau pneumatique à quelques mètres de ce géant d’acier. Il s’excuse à la VHF et repars pour une approche. À son passage la mer se hache, le radeau se remplit abondamment d’eau. Il se repositionne à mon vent, à quelques mètres, c’est dingue, et dérive vers moi. Cet immeuble calme un peu la mer et m’aspire. Le radeau frotte contre la coque de l’avant vers l’arrière. Si ça ne marche pas, la suite va être compliquée. L’équipage me lance des cordes que je ne parviens pas à récupérer dans un premier temps.

Finalement j’y parviens. J’en récupère une proche de la proue du navire. Tout se joue sur le fil. Il y a l’épaisseur du trait entre la réussite et l’échec, la survie et le drame. L’équipage me tire vers un escalier qui a été descendu. Avec les vagues je monte parfois au niveau de l’escalier puis redescends 5 mètres en dessous. C’est la dernière épreuve. Si la survie passe sous l’escalier elle va être percée et moi je vais être projeté à l’eau. Je m’approche. Une première fois : je ne la sens pas. Une seconde vague, je monte et hop je saute sur l’escalier que j’atteins puis me retrouve dans les bras d’un homme casqué. Je remonte sur le pont.

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Sauvetage en cours© Fabrice Amedeo

Je suis accueilli par une une vingtaine de membres d’équipage. C’est fou ce moment. Ils me prennent dans leur bras, me félicitent. Avant que je n’ai eu le temps de dire ouf, ils m’emmènent dans une salle, j’ôte pas combinaison de survie. « Mais tu es sec » hallucinent-ils. Oui oui nous sommes équipés sur nos bateaux de course ! J’ai pris une douche et ai mis une tenue de l’équipage.

C’est une fois à bord du cargo que la peur et l’adrénaline sont venus. Mes jambes tremblaient. C’est fou cette capacité animale qu’a l’Homme à gérer une situation de survie. Et puis ça retombe. La mort n’a pas voulu de moi aujourd’hui ou plutôt la vie n’a pas voulu que je la quitte. Je suis dévasté mais le plus heureux des hommes car ce soir ma femme et mes filles ne vont pas se coucher en pleurant.

À la sortie de la douche je suis reçu par le capitaine et son second. Nous tombons dans les bras les uns des autres. Ils ont aussi les jambes qui tremblent me disent-ils.

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© Fabrice Amedeo

Cette aventure n’altère en rien ma passion pour mon métier et pour l’océan.

Je remercie mon équipe, la direction de course de la Route du Rhum - Destination Guadeloupe, les équipes de secours, qui ont oeuvré pour que cette opération de sauvetage se déroule dans les meilleures conditions possibles.

Je pense aussi à mes partenaires. Je les remercie de leur confiance. Je vais rebondir. Nous allons rebondir.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…