Transat Jacques Vabre : 4 classes, 4 parcours, 4 vainqueurs, 6 départs, 77 arrivées à Fort-de-France

Par Figaronautisme.com

Au départ du Havre, fin octobre, un train de virulentes dépressions balaie la façade Atlantique. Un cortège de dépressions s’invite à la fête et forme la tempête Ciaran qui va balayer le golfe de Gascogne et la Manche. L’organisation se met au diapason de cette situation météorologique exceptionnelle qui ne laisse aucune échappatoire, quitte à modifier la physionomie de cette 16e édition de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre. Son objectif : préserver l’entière intégrité des quatre flottes sur les rangs, tout en garantissant l’équité sportive de l’ensemble de la course. Retour en quatre actes sur les quatre courses à l’affiche de cette Route du café 2023.

Ce 29 octobre, date de départ originelle, seuls les ULTIM, les Ocean Fifty et les Class40, soit 55 bateaux, s’élancent à tour de rôle, le Jour J, en baie de Seine. Les trois départs donnent lieu à des images superbes illustrant tout le potentiel spectaculaire de cette épreuve, qui met un point d’honneur à valoriser la diversité et les spécificités des classes réunies. Les trimarans ULTIM et Ocean Fifty partent chacun leur tour à pleine vitesse. Les premiers, de 32 mètres de long, décollent dans les conditions de vent soutenues, propices aux grandes envolées. Les seconds, ces karts des mers, foncent les étraves fumantes sur un flotteur. Quant aux Class40, c’est en ligne et en meute qu’ils entament leur Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre. Avec un éclairage médiatique inédit, ils donnent le ton et apportent d’entrée de jeu la preuve que quantité et qualité font, pour le meilleur, très bon ménage au départ d’une course transatlantique.

#1 - Départs : à double détente ou en différé

Parmi ces bateaux au départ, seuls les ULTIM peuvent compter sur leur extraordinaire potentiel de vitesse pour vite s’échapper des côtes peu fréquentables dans ce contexte météorologique dépressionnaire. Ces maxi-trimarans s’engagent sur leur parcours de 7 500 milles, via un grand détour par l’île de l’Ascension dans l’hémisphère Sud. Ce club des cinq emporte dans son sillage la promesse de donner lieu à une transat de haute volée.

Les six Ocean Fifty et 44 monocoques se dirigent, quant à eux, vers Lorient, escale forcée et improvisée pour se mettre à l’abri avant l’arrivée des deux virulentes dépressions. Nommées Ciaran et Domingos, elles marquent de leur empreinte le début de cette 16e et tempétueuse Route du café. Après le passage de ces deux systèmes, ce n’est que le lundi 6 novembre que ces deux flottes, rassemblant dès lors 46 équipages, s’élancent des courreaux de Groix et retrouvent les chemins océaniques menant aux Antilles.

Entre temps, les duos de Solitaires en Peloton en Ocean Fifty, et d’Alla Grande Pirelli chez les Class40, premiers à l’arrivée du parcours de ralliement entre les côtes normandes et bretonnes, repartent avec de l’avance au classement général. Dans leurs catégories, celui-ci sera déterminé à l’arrivée finale en Martinique, en temps cumulé entre Le Havre, Lorient et Fort-de-France, au terme de leur parcours respectif : de 4 500 milles via une porte au niveau du Cap Vert, et 4 050 milles via Porto Santo à Madère.

Quant aux 40 IMOCA, vu leur nombre, et l’impossibilité de trouver un port d’accueil sur la façade Atlantique, c’est au Havre qu’ils resteront à l’abri dans l’attente de jours meilleurs pour rentrer dans le vif de cette compétition en double qu’il leur tarde de disputer. Après neuf longs jours d’attente, ils rejoignent enfin la baie de Seine, le mardi 7 novembre, pour un départ sous un beau soleil hivernal et dans une brise soutenue. Cette flotte d’exception n’est pas en reste, elle offre à son tour des images qui resteront longtemps dans les mémoires à l’entame de son parcours raccourci à 3 750 milles, via l’île de Santa Maria, aux Açores.

Au bilan, Ciaran passera sur les 90 bateaux abrités au Havre et à Lorient sans dommage.

# 2 - Deux hémisphères, deux salles, deux ambiances

Tandis que les duos en ULTIM prennent la poudre d’escampette, c’est donc avec une dizaine des jours de retard que le reste des binômes affronte les eaux agitées du golfe de Gascogne. Au milieu de la deuxième semaine de novembre, le contraste est saisissant entre les cinq échappés qui progressent dans l’hémisphère Sud et régatent comme s’ils naviguaient en baie, et le reste de la flotte qui ne doit pas ménager sa peine pour s’extraire des côtes du proche Atlantique.

En témoigne le tour de passe-passe de l’île de l’Ascension. Au terme d’un long bord au louvoyage, SVR Lazartigue vole la vedette au leader Maxi Banque Populaire XI, pourtant installé en tête après un joli coup tactique à Madère. Le duel au sommet que livrent ces deux géants est superbe. Au même moment, les équipages qui se frottent à un méchant front balayant le golfe du nord au sud, doivent faire le dos rond.

IMOCA, Class40, Ocean Fifty, aucune classe n’est épargnée. De nombreux concurrents subissent leur lot de dommages et se déroutent à Brest, Lorient, La Corogne, Vigo, Cascais… La majorité répare et repart. Les trimarans de 50 pieds, dont la moitié des effectifs subit de lourds dommages structurels, sont les plus affectés. Seuls trois d’entre eux sont en mesure de continuer la course, alors que la chasse aux alizés est ouverte.

# 3 - Transat taille XXL chez les ULTIM, taille patron chez les Ocean Fifty

Pour la meute des rescapés, la course prend rapidement tous ses droits. Pour les ULTIM, elle continue de plus belle sur un long bord de nord-ouest pour remonter vers la Martinique. Aux allures portantes, le Maxi Banque Populaire XI imprime une cadence soutenue et creuse les écarts. Son binôme tire le meilleur des conseils avisés du routeur Marcel Van Triest pour tracer une trajectoire d’une précision sans faille.

Ses deux marins font une implacable démonstration de l’art de piloter un voilier volant. Derrière, ses poursuivants ne sont pas en reste et poussent les machines qui atteignent des vitesses « afoilantes » d’une quarantaine de nœuds sur plusieurs heures. À Fort-de-France, la ligne d’arrivée honore la course quasi-parfaite d’Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse. Elle consacre aussi une flotte de maxi trimarans qui réussit le bel exploit de terminer au grand complet une transat taille XXL.

Du côté des Ocean Fifty, c’est Solidaires en Peloton qui endosse le maillot jaune d’indéboulonnable leader. Crédité d’une centaine de milles d’avance à l’entrée dans les alizés en approche de la marque du Cap Vert, le binôme tire sa force de l’expertise cumulée par ses deux co-skippers, qui se relaient, avec bonheur et réussite, à la barre et dans le cockpit d’un trimaran volage. Avec le soutien de leur cellule de routage, Thibaut Vauchel-Camus et Quentin Vlamynck naviguent vite et bien. Ils contrôlent leurs deux poursuivants, mais ne cèdent rien à l’impérieuse prudence qui s’impose à bord de leur support d’une exigence de tous les instants. Ce savant dosage entre vitesse et sagesse leur permet de s’imposer haut la main, au terme d’une transat, taille patron, menée sans partage.

# 4 - Option Nord ou route Sud ? 75 monocoques face au choix cornélien

Dans le camp des monocoques, qui ne bénéficient pas de routage extérieur, la course prend une dimension hautement plus stratégique. Chez les IMOCA, comme du côté des Class40, la question du Nord ou du Sud qui fait la légende des transatlantiques, anime comme jamais les débats : en mer dans l’intimité des cockpits, comme à terre auprès des observateurs passionnés.

Du côté des 60 pieds d’abord, où une petite poignée de binômes se tient en respect aux avant-postes, parmi lesquels figurent les derniers nés de la classe : Charal, Paprec Arkéa, For People, ainsi que For The Planet, et Initiatives Cœur. Tout ce petit monde, qui régate au meilleur niveau, privilégie la route sud, celle qui fait un grand détour par le Maroc pour rejoindre les alizés. Une fois ces vents salvateurs touchés, les vitesses s’emballent et la bataille s’intensifie entre ces bateaux très proches les uns des autres. Privé de gennaker, Charal se fait doucement mais sûrement décrocher. Pour les autres, la course se poursuit au contact, et par route interposée avec quelques Nordistes.

Sur l’échiquier océanique, quelques dissidents emmenés par Teamwork.net partent en effet aux fronts, au propre comme au figuré, sur une option nord. Sur leur trajectoire divergente, plus courte mais rythmée par de longues heures d’inconfort au près dans des conditions musclées exigeantes pour les marins et les bateaux, ils font pourtant preuve d’une belle force de résistance. Finalement, cela se joue à peu de choses, mais les Sudistes, propulsés par des vents portants, l’emportent. Le premier d’entre eux, For People, mené par le binôme vainqueur en titre en IMOCA, s’impose. Thomas Ruyant et Morgan Lagravière récidivent avec panache au chapitre de succès à bord de ce nouveau bateau.

Chez les Class40 aussi, les options se dessinent et se décident aussi parmi les bateaux aux avant-postes entre lesquels tous les coups tactiques sont permis, depuis le passage des Canaries, théâtre d’un bel éparpillement de trajectoires aux détours des îles. Un groupe de quatre bateaux - Groupe SNEF, Crédit Mutuel, Amarris et Influence 2 - s’échappe ensuite au nord, tandis que le gros des troupes, emmené par les binômes italo-français d’Alla Grande Pirelli et d’IBSA plonge à la chasse aux alizés profonds. Dans chaque camp, les binômes donnent le meilleur d’eux-mêmes et maintiennent le suspense.

Et c’est sans compter avec une bulle anticyclonique qui barre la route en approche de Fort-de-France et qui sème la zizanie, obligeant, Groupe SNEF, le leader du groupe du Nord à poursuivre tout droit sur une route médiane. Mais cette voie du centre est sans issue ; et c’est sur un match Nord/Sud que se joue le dénouement final. Là encore, la route des alizés remporte la mise. La victoire revient de droit au redoutable binôme d’Alla Grande Pirelli, formé par Ambrogio Becarria et Nicolas Andrieu, qui tire tous les bénéfices de sa course alliant vitesse et finesse tactique. Premier à la bouée de dégagement en Baie de Seine, premier à Lorient et premier à Fort-de-France, il s’adjuge une indiscutable victoire.

Les chiffres des 30 ans de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre

95 bateaux et 190 marins au départ répartis en 4 classes : 5 ULTIM, 40 IMOCA, 6 Ocean Fifty et 44 Class40

ULTIM : la classe reçue 5/5 avec cinq bateaux au départ, autant à l’arrivée

Ocean Fifty : 3 bateaux à l’arrivée sur les six au départ

IMOCA : six abandons, 34 bateaux classés

Class40 : 35 bateaux classés sur 44 bateaux au départ.

77 bateaux, soit 154 marins classés à l’issue de cette 16e édition de la Transat Normandie Le Havre.

Retrouvez le classement général ICI.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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