Les marins de la classe IMOCA ont souffert hier dans un front très violent. Louis Burton (démâtage) et Fabrice Amedeo (voie d’eau dans la zone de vie) ont fait les frais du vent fort et de la mer chaotique. Les autres marins sont passés entre les gouttes. Nous sommes parvenus à joindre cinq skippers en vacation ce dimanche matin. Tous décrivent des conditions instables, à des allures encore serrées du vent, et confient leur hâte d’enfin glisser au portant...
Maxime Sorel (V and B – Monbana – Mayenne)
« Hier, ce n’était pas super bien. Le bateau a souffert et il souffre encore. La mer est chaotique et après avoir passé le front, j’ai cru que ça allait s’améliorer, que ça allait mollir mais ce n’était pas du tout le cas. Toute la nuit, j’ai dû naviguer avec moins de toile que ce que j’aurais dû faire. Il y a des grains et on part dans des vitesses que l’on ne contrôle pas, ce n’est vraiment pas simple. Les démâtages de Louis (Burton), Aurélien (Ducroz) et Amélie (Grassi) puis le chavirage de Thibaut (Vauchel-Camus), ça jette un froid d’un coup. Même si le jeu est ouvert, ce n'est vraiment pas le moment de casser. Là, on va filer plein Sud jusqu’à ce soir 20 heures où il faudra passer un petit front. On se redécalera dans les Açores en faisant un virement de bord de 6 à 8 heures avant de refaire du Sud en espérant passer sous l’anticyclone. J’en rêve de l’anticyclone. Là on est dans des angles hyper serrés au près, ce n’est pas agréable pour le bonhomme et pour le bateau. Ça manque la mer bleu caractéristique, le soleil, les poissons qui volent et les belles glissades. Là, c’est un peu la boucherie ! Depuis le début de la course, j’essaie de placer le curseur au bon endroit, en naviguant parfois un peu en deçà parce que je n’ai pas envie de cravacher tout le temps. »
Thomas Ruyant (LinkedOut)
« C’est toujours sport ! Là, j’ai 10 nœuds de vent mais il y a 10 minutes, j’en avait 30. On a un beau temps à grains depuis la fin du front. Avant c’était sport avec une mer de face mais assez classique pour un front. Après le virement, on a eu des heures compliquées avec une mer croisée. On faisait mal au bateau pour aller vite, ce n’était pas agréable, ça tapait fort. Depuis le milieu de la nuit, on a eu pas mal de grains avec des rotations de vent importante, ce n’est vraiment pas simple. J’ai 2/3 trucs qui ont volé à l’intérieur mais rien de méchant, tout roule à bord. La mer est chaotique, c’est sauvage. Je suis impatient de retrouver un peu de portant et une mer plus praticable mais ce n’est pas pour tout de suite. Je pense que d’ici deux jours, on pourra faire un peu de portant. Là, il y a toujours un match dans le match avec Charlie devant. Moi, je m’accrocherai jusqu’au bout ! Les bateaux de dernières générations vont vite, ils sont dans le coup, c’est top, il y a du match à tous les étages et tant mieux ! Charlie, c’est un des marins les plus talentueux, il a un bateau avec des foils un peu plus grands et ça galope. Il sera dur à aller chercher ! »
Isabelle Joschke (MACSF)
« Je suis entre deux grains, j’ai entre 5 et 10 nœuds de vent. Je suis balloté par la mer, ce n’est pas du tout agréable. J’ai eu 23 nœuds il y a 10 minutes et dans 5 minutes, ce sera pareil ! Tout va bien mais la nuit a été fatigante, ça a été ça toute la nuit, le vent bascule de 15 à 30 nœuds. Il fallait réagir et éviter que le bateau puisse virer de bord. Il est parti au tas une fois ! La météo n’est pas du tout facile à appréhender, les choix sont durs à faire et on vit vraiment au jour le jour… Je suis comme tout le monde, je me gratte la tête ! J’ai besoin de sommeil, les 24 dernières heures ont été vraiment éprouvantes, j’ai eu du bricolage à faire, d’autant qu’il me manque un des winchs principaux pour les voiles. Chaque manœuvre me demande beaucoup plus de temps et d’énergie... Je suis bien fatiguée mais j’ai la niaque. Sportivement, même si le début de course a été éprouvant et qu’il y a encore beaucoup de manœuvres à suivre, je suis contente de tirer mon épingle du jeu. »
Giancarlo Pedote (Prysmian Group)
« On savait que le front serait violent. Sur les cartes, c’était un peu figé avec surtout de la mer croisée, comme d’habitude. Malheureusement, Louis (Burton) a perdu son mât, Damien (Seguin) avait dû abandonner avant… J’ai une forte pensée pour eux parce que ce n’est jamais facile. Les conditions étaient dures mais on a connu bien pire que ça. Après, ça commence à être usant de faire du près. Là on a des rafales à près de 30 nœuds, ça mollit à 12… Ce n’est vraiment pas agréable. Je suis sur la traine du front, il y a du soleil, des grains, des éclaircies et le vent est très instable. Ça tape beaucoup. À un moment donné, on a envie que ça arrive, qu’on rentre dans l’anticyclone, qu’on pousse vers le sud. Hier, j’ai déchiré mon J2 qui s’est coupé net. Là, je viens de me prendre une risée et le bateau est parti comme une fusée ! »
Sébastien Marsset (Mon Courtier Energie – Cap Agir Ensemble)
« Ça se passe bien. Je n’ai rien cassé jusqu’à présent. Les conditions sont plus faciles mais elles restent toniques. Il y a de la mer, des rafales, le vent passe de 6 à 23 nœuds, difficile de trouver le bon réglage, entre être sur-toilé et sous-toilé. J’ai eu un gros grain hier dans la nuit… Ce n’est pas facile le mode d’emploi dans ce genre de condition. Hier, je me disais que la Route du Rhum avait vraiment commencé, en étant dans mon mode de vie de marin, à couper avec les préoccupations terrestres, à me sentir chez moi dans le bateau. C’est ma maison pendant une bonne dizaine de jours encore, l’espace-temps est différent. Tu es debout la nuit, tu dors le jour. Je suis bien rentré dedans. C’est ce que j’apprécie dans la course, cette parenthèse offerte par le large. Je ne suis pas insatisfait de ma position. Honnêtement, je me mets peu de pression là-dessus. L’enjeu, c’est déjà de finir la course. Franchement, je suis content de mes choix de route. Je n’ai pas un des bateaux les plus rapides, c’est difficile de se faire distancer et parfois dur à avaler. J’essaie de me focaliser sur ce que je peux faire bien et trouver la petite bête pour accélérer. Si je regarde seulement les vitesses pures et les moyennes, ça m’emmène dans une spirale négative. Je cherche donc d’autres leviers pour avancer. Et je suis content de mon positionnement, c’est correct ! »