Si l’on regarde l'histoire de la Classe IMOCA, on y voit le lien avec la Golden Globe Race. Cette course que l’on pourrait qualifier de ‘rétro’, reprend les codes de la première course autour du monde en solitaire et sans escale de 1968-69, celle qui avait alors révélé les immenses légendes que sont Bernard Moitessier et Robin Knox-Johnston.
C'est à cette époque que la course en solitaire est entrée dans l'ère moderne, où les bateaux avaient une vitesse moyenne de moins de quatre nœuds pour la plupart, avec des marins passant plus de 300 jours en mer. Dans ce contexte, il est difficile de croire ce que les IMOCA à foils modernes peuvent désormais laisser envisager à leur skipper de boucler le Vendée Globe en 75 jours ou moins.
Cet hiver, la tradition a été célébrée avec la deuxième reconstitution de la Golden Globe Race qui, dans sa version actuelle, impose que les bateaux inscrits aient été construits avant 1988, qu’ils ne doivent pas dépasser 36 pieds et que toute aide électronique à la navigation est interdite.
La navigatrice sud-africaine Kirsten Neuschäfer, 40 ans, pourrait bien emporter un triomphe historique en fin de semaine, à bord de son Cape George 36, Minnehaha, et ce, juste devant l’Indien Abhilash Tomy et son Rustler 36.
Si Kirsten l'emporte - elle est attendue vendredi aux Sables d'Olonne -, elle deviendrait alors la première femme à remporter une course autour du monde en solitaire, après avoir parcouru plus de 29 000 milles pendant plus de sept mois. Non seulement elle aura réalisé ce qu'aucune femme n'a jamais réussi auparavant, mais elle aura aussi sauvé l'un de ses concurrents dont le bateau a coulé dans l'océan Austral.
Dans la famille IMOCA, les skippers, les marins, les équipes à terre et les concepteurs sont nombreux à consulter la cartographie depuis le départ en septembre, fascinés par cette guerre d'usure au ralenti, alors que les seize partants ont été progressivement réduits à trois potentiellement ‘finishers’.
Yann Eliès a suivi la course. Lorsque l'on échange avec lui, on se rend bien compte que, comme d'autres skippers IMOCA, il considère la Golden Globe Race non pas comme un événement amateur sans rapport avec sa propre version du sport, mais bien comme un autre type de navigation, tout aussi exigeant, même s'il peut paraître se situer à l'extrémité du spectre par rapport au Vendée Globe moderne.
Il dit être impressionné par Kirsten Neuschäfer, comme il l’a confié cette semaine à la Classe IMOCA. "Je pense que c'est une très bonne chose qu'elle gagne la course", déclare le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro. "Cela arrive au bon moment pour nous qu'une femme remporte une telle course autour du monde. Depuis Ellen MacArthur (2e du Vendée Globe 2000-01), nous avions besoin d'une nouvelle héroïque comme elle. Nous avons Sam Davies, nous avons aussi Clarisse Crémer, mais elles n’ont pas encore remporté de tour du monde en solitaire."
Yann Eliès, qui fait actuellement partie de l'équipe de Team Malizia en course sur The Ocean Race et qui rejoindra l’équipage pour l'étape 5 de Newport à Aarhus (Danemark), affirme que Kirsten Neuschäfer aime manifestement se mettre à l'épreuve et qu'elle a une affinité particulière pour ce bateau et la navigation en solitaire.
"Je ne la connais pas très bien, mais elle a l'air d'aimer l'aventure avec un grand A", déclare-t-il. "Et pas seulement la voile, mais aussi la marche et le vélo. L'aventure, c'est sa vie. Pour courir la Golden Globe Race, vous ne pouvez pas simplement naviguer dans le cadre d'une course, vous avez besoin de quelque chose en vous, pour vous motiver, et il est important de comprendre cela avant de faire cette course."
"Et encore plus pour la course sur ce type de bateau", ajoute-t-il, "vous devez naviguer en douceur parce que vous n'avez qu'un régulateur d'allure à bord, puis sur ces bateaux à longue quille, vous ne pouvez pas pousser trop fort, sinon vous risquez de casser la girouette, comme Damien Guillou (participant français et favori avant le départ). Et Kirsten a très bien compris le rythme à adopter", ajoute le finisher du Vendée Globe 2016-17.
Yann a participé à l'étape 2 de The Ocean Race avant de rester à terre pendant le marathon de l'étape 3 dans les mers du Sud, étape remportée par Team Malizia avec brio. Il n'hésite pas à avouer qu'il n'était pas mécontent de ne pas embarquer dans cette course de 12 750 milles à travers le Grand Sud.
"J'avais un peu peur de la troisième étape parce qu'elle était longue", dit-il en riant. "Mais si j'avais dû la faire, j'aurais préféré partir sur Team Malizia car c'est comme un bus, un grand bus, c'est très confortable par rapport à d'autres bateaux de la flotte."
Malgré le succès de l'étape 3, Yann pense qu'il ne sera pas facile pour Team Malizia de remporter la course au général. "Le bateau est conçu pour le Sud et pour The Ocean Race, avec beaucoup d'espace pour les couchettes, la cuisine, etc. et je suis content pour Boris (Herrmann, skipper) parce qu'il a imaginé le bateau pour ça. Mais j'ai un peu peur que cela ne suffise pas - dans cette configuration - pour gagner cette course, ou le Vendée Globe, parce que le voyage ne se limite pas aux régions australes, mais aussi à l'Atlantique, du nord au sud. Je pense qu'ils ont beaucoup à faire pour alléger le bateau", confie-t-il.
Outre ses fonctions au sein du Team Malizia, Yann travaille avec Yoann Richomme sur Paprec Arkéa, l'un des IMOCA les plus attendus du moment, dessiné par Antoine Koch et le cabinet Finot-Conq. Yann naviguera avec Yoann sur cette nouvelle machine volante sur toutes les courses en double des IMOCA GLOBE SERIES 2023, à commencer par la Guyader Bermudes 1000 Race qui part de Brest le 7 mai prochain.
"C'est très excitant d'essayer ce nouveau bateau et aussi de participer à la Guyader Bermudes 1000 Race", déclare-t-il. "Ce bateau a l'air vraiment bien. Il est difficile d'en être sûr car nous n'avons pas encore navigué aux côtés d'un concurrent mais je pense qu'il est réussi. Nous atteignons parfois près de 30 nœuds et la vitesse moyenne semble bonne, nous sommes impatients de voir cela sur la première course de la saison."
Le skipper de Paprec Arkéa semble lui aussi ravi. "Oui, Yoann est content - nous n'avons pas eu de gros problèmes à bord - juste les détails classiques d’après mise à l’eau mais le bateau ressemble et navigue à peu près comme Antoine (Koch) l’a imaginé, c'est donc un bon point. Le meilleur scénario c’est quand un bateau fonctionne comme les concepteurs l'ont voulu dès les premières navigations."