Viktor Kocaj peine à cacher son désespoir. Le vieux pêcheur est parti de bonne heure retirer ses filets jetés dans la nuit dans la baie albanaise de Vlora, dans l'Adriatique, mais la pêche est maigre: l'eau est trop chaude.
La canicule qui frappe une partie de l'Europe en ce début d'été réchauffe les sols mais aussi les mers : dans ce coin de côte albanaise, à la fin du mois de juin, la température de l'eau dépasse 25,5°C - soit 1,5 degré de plus que l'an dernier à la même époque.
Sur terre, les températures de devraient pas redescendre sous les 32°C en journée avant la mi-juillet, selon les prévisions.
"La chance m'a quitté depuis longtemps", murmure Viktor, complétement abattu. "Regardez mes filets presque vides... C'est une année noire, je ne peux pas m'en sortir", soupire le sexagénaire aux premières lueurs du jour.
Il y a quelques années encore, il parvenait à nourrir sa famille. Mais aujourd'hui, il se dit ruiné. "J'ai perdu ma bataille avec la mer, je l'ai aimée, mais elle m'a trahi", dit à l'AFP ce père de quatre enfants.
"La hausse des températures a été un coup fatal pour les poissons, et pour nous aussi", ajoute-t-il en peinant à cacher ses larmes. Dans la baie de Vlora, Viktor estime que la population a diminué de 70%.
La situation n'est pas meilleure à la sortie de la baie: les plus gros bateaux de pêche font face aux mêmes difficultés, et les prévisions ne sont pas optimistes.
Les mois à venir devraient être marqués par des températures plus chaudes que les années précédentes, affirme à l'AFP Reshat Xhelilaj, responsable du secteur de pêche et d'aquaculture à Vlora.
Ici, en août dernier la température de la mer a atteint 30,5°C.
"C'est la saison du merlu, il y a quatre ou cinq ans, on en pêchait sept, huit ou dix kilo par jour. Aujourd'hui on en pêche à peine deux kilos. Pareil pour le rouget, le maquereau... ils ont presque disparu", dit Viktor en revenant au port en trainant péniblement un petit seau à moitié rempli de poissons.
Il y a quatre ans, il pêchait avec son frère: avec 300 mètres de filets ils arrivaient à gagner assez pour faire vivre deux familles.
Maintenant il est seul et jette à la mer 1.000 mètres de filet, mais malgré des heures en mer il a du mal à gagner sa vie.
- Petits poissons -
"Les changements climatiques sont un facteur majeur du déclin des populations des poissons dans la mer", explique Nexhip Hysolokaj chercheur en biologie à l'université de Polis.
La hausse des température a aussi un impact sur leur taille et sur la diversité des espèces. La température corporelle des poissons, organismes à sang froid, dépend de celle du milieu dans lequel ils évoluent - et une hausse de la température de l'eau a donc un impact sur leur reproduction et leur croissance.
Plus petits, moins nombreux, l'évolution de la population des poissons de la mer Adriatique a ouvert la voie à l'arrivée de nouvelles espèces.
Ainsi les sardines, maillons essentiels de la chaîne alimentaire en mer, sont en voie de disparition, et d'autres poissons viennent prendre leur place - au moins une dizaine, dont le poisson lion, originaire des océans Indien et Pacifique.
Viktor en a d'ailleurs pêché deux. "Pour leur malheur et le mien, ils ont fini dans mes filets", lance-t-il en faisant attention à ne pas le toucher car ce poisson est très venimeux.
Aussi apparu dans les Caraïbes, le poisson lion est comestible et plusieurs campagnes y sont menées pour apprendre aux pêcheurs locaux à en tirer profit.
"Les changements climatiques ont eu des effets dévastateurs, les températures dépassent les prévisions, les eaux sont surchauffées", s'alarme le capitaine Baci Dyrmishi, responsable de l'association de pêche marine dans la baie, qui voit le nombre de marins fondre avec celle des poissons.
Le déclin des stocks de poissons a poussé beaucoup de jeunes du village à abandonner ces lieux à la recherche d'une vie meilleure dans les grandes villes.
Au port de Radhima, des 12 à 15 bateaux de pêche qui mouillaient il y a peu, il n'en reste pas plus de trois ou quatre.