
Ce jeudi, la cour européenne de justice a demandé à Paris de mettre fin à l’exonération de TVA dont bénéficient les yachts. Tous nos voisins se sont pliés à cette demande mais la France tarde encore à régler cette question.
Après plusieurs relances de la Commission européenne, c’est la Cour de Justice qui a pris le relais pour demander à la France de rentrer dans les rangs. En guise d’épée de Damoclès, Paris risque de lourdes sanctions financières. « A ma connaissance, notre pays avait déjà tardé à appliquer des directives au détriment des contribuables mais c’est la première fois que l’Etat protège les contribuables ! » s’amuse Hervé Israël, avocat associé chez Holman Fenwick Willan. Le fiscaliste vient juste de publier un article (co-écrit avec Jeanne Castelle) sur le sujet, pour la Revue de droit fiscal, dans lequel il précise : « Comme toujours en matière fiscale, les choses ne sont pourtant pas aussi simples qu’elles paraissent si l’on veut bien comprendre les bienfaits de cette mesure d’exonération de TVA pour l’économie française, la France possédant la plus longue zone côtière d’Europe. » Le différend entre Bruxelles et Paris porte sur l’application de la directive européenne TVA (28/11/06). Car si, en Europe, il est possible d’exonérer de TVA les bateaux de commerce sujets à la location et affectés à la navigation en haute mer, la France applique cette disposition à des bateaux immatriculés comme navires de commerce mais destinés à la plaisance : les yachts. La France est le dernier pays à appliquer l’exonération fiscale sur les yachts et elle fait des envieux.
Plusieurs rappels à l’ordre
Lors de la première transcription de la directive dans le droit français, Paris avait fixé trois conditions pour l’exonération : une activité commerciale, un équipage permanent et une immatriculation comme navire commercial, en France ou à l’étranger. L’UE ne jugeant pas ces conditions assez restrictives, la Commission avait alors envoyé un premier rappel à l’ordre. Dans la loi de finances rectificatives de 2010, Paris a donc ajouté la condition de navigation en haute-mer. "En pratique, il s’agissait plus d’une adaptation sémantique du régime d’exonération de TVA après un premier rappel à l’ordre de la Commission européenne", observe Sophie Borenstein, associée du cabinet Reed Smith. En effet, tous les yachts sont potentiellement des navires de haute mer. La Commission a donc éclairci sa position pour demander à la France de ne pas assimiler la plaisance aux navires de commerce. Dans un avis motivé du 21 novembre 2012, la Commission a ainsi expliqué que la directive TVA, article 148, ne pouvait pas s’appliquer aux yachts. « Cette exonération n'est pas applicable aux bateaux de luxe utilisés par des personnes physiques à des fins d’agrément, expliquait la Commission Européenne le 21 novembre dernier. L’avis motivé de l’institution européenne s’appuie également sur un arrêt de la Cour de Justice Européenne datant du 22 décembre 2010. Après une plainte du Grand-Duché, la société Bacino avait été condamnée à rembourser la TVA qu'elle n'avait pas payée car la Cour avait considéré que la location de yachts ne pouvait pas entrer dans les catégories exonérées de taxes dans la directive européenne sur le secteur.
La crainte d’un effet dominos
« Avec la directive TVA, l’UE avait voulu exonérer le transport de passagers, à l’image des compagnies aériennes, explique Hervé Israël. Mais elle n’avait jamais eu l’intention de l’appliquer à toutes les activités hébergées par les bateaux. » En France, l’exonération du taux de TVA de 19.6% est fermement défendue par les sociétés françaises de location de yachts, en particulier sur la côte méditerranéenne et aux Antilles. Les acteurs du marché craignent un effet domino sur l’ensemble du secteur de la location, avec des répercussions sur l’industrie du tourisme. « Effectivement, on peut aussi regarder dans le détail et se demander pourquoi les bateaux qui organisent des petites balades pour les touristes ne seraient pas également considérés comme des bateaux de plaisance. » Les sociétés de location ne sont pas les seules à profiter de cette exonération, un plaisancier pouvant créer sa société de gestion destinée à son seul yacht et lui payer un loyer. « Toutefois l’administration fiscale et douanière a commencé à revenir dessus en obligeant ces propriétaires à louer leur yacht à des tiers pendant au moins 50% du temps, notamment pendant la saison estivale, sous peine de ne pas être reconnu comme navire de commerce », précise Sophie Borenstein, associée du cabinet Reed Smith.
L’inspiration vient du ciel
Des discussions sont actuellement en cours pour rapprocher le régime fiscal des yachts de celui des aéronefs qui doivent effectuer 80% de leurs vols à l’étranger. « L’une des solutions serait sans doute de s’inspirer du régime des aéronefs en appliquant l’exonération de TVA si la navigation du yacht s’effectue en dehors des eaux territoriales à plus de 80% par exemple», explique Sophie Borenstein. Cela suivrait la logique de la TVA qui est un impôt territorial. Toutefois, Hervé Israël voit là une nouvelle mesure cosmétique dont la Commission pourrait ne pas être dupe. Il ajoute que si le contrôle des vols d’une compagnie aérienne est clair, celui des yachts serait beaucoup plus flou.
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