
Les concurrents de la transat AG2R La Mondiale quittent Concarneau dimanche, cap vers Saint Barth.
C'est la course des stratèges par excellence. Les quinze voiliers de la Transat AG2R La Mondiale vont quitter dimanche le port de Concarneau et mettre le cap vers l'île de Saint-Barthélemy dans les Caraïbes, via une marque de parcours obligatoire au nord de Palma dans l'archipel des Canaries. Le plateau de cette 12e édition est très alléchant avec le retour d'anciens: Michel Desjoyeaux, Roland Jourdain, Kito de Pavant et Jean Le Cam qui vont avoir fort à faire face aux meilleurs spécialistes de la série Figaro Bénéteau parmi lesquels Nicolas Lunven, Thierry Chabagny ou Fabien Delahaye.
Impossible de se livrer au moindre pronostic à quelques heures du départ, tant le plateau est riche en talent et tant cette transat à armes égales a le don de distiller des scénarios à rebondissements lors de chacune de ses éditions. Elle se court en effet en monotype Figaro Bénéteau: tous les marins ont le même voilier et c'est à l'homme de faire la différence. D'autre part, elle se dispute en double, à deux navigateurs, ce qui permet de mener les bateaux à 100 % de leur potentiel et qui donne plus qu'ailleurs à l'analyse météo et à la stratégie le statut de juge de paix de la course. «Le fait d'avoir des bateaux faciles à faire marcher à 100 % et de les mener en plus à deux rend la stratégie incontournable», souligne Nicolas Lunven, le skipper de Generali.
Pour briller sur cette épreuve, mieux vaut donc être armé du talent de stratège avec un en plus l'expérience et le recul qui font les grands marins. Pourtant, l'évolution des logiciels a mis le routage météo à la portée des jeunes qui entendent bien jouer crânement leurs chances face aux anciens et pourquoi pas leur damer le pion. «Je n'ai aucun complexe face aux anciens ou aux autres marins plus expérimentés que moi, affirme Gwenolé Gahinet, le jeune skipper du bateau Safran Guy Cotten. La météo et la navigation sont des domaines qui évoluent très vite avec de nouveaux outils informatiques: ma génération est armée pour rivaliser et même pour battre les marins plus expérimentés.»
De mémoire de marin comme de passionné resté à terre, chacune des onze éditions de cette transat a accouché d'un scénario hitchcockien à couper le souffle depuis 1992. Suivant les années, on a parlé de «course de stratège» ou de «course de tacticien»: le stratège gagne une course en se positionnant par rapport aux phénomènes météorologiques, il s'éloigne souvent de la route directe pour tenter une «option». Un tacticien s'impose lui en se positionnant vis-à-vis de ses concurrents. «L'édition 2006 a été une course de tacticien et de gagne-petit, se remémore Jeanne Grégoire (Scutum). Kito de Pavant gagne juste en tirant un contre-bord dans un grain.» La transat se transforme alors en régate au contact et se joue sur un recalage. Un peu comme quand un match de tennis se décide sur un point décisif.
D'autres éditions ont en revanche favorisé la stratégie avec de grandes options. En 2008, le Marseillais Jean-Paul Mouren passe Madère avec 10 heures de retard sur le peloton et remporte la course à l'issue d'une cavalcade au sud de l'anticyclone des Açores, alors que le reste de la flotte était passé par le nord.
Le scénario de ce début de transat ne devrait pas déroger à la règle avec au menu un passage de front avec du vent tonique, puis une dorsale anticyclonique à contourner ou traverser, et enfin une dépression au large du Portugal à négocier. Nicolas Lunven résume bien l'esprit de la course et les ampoules au cerveau que les marins ne vont pas manquer de se faire à la table à carte de leur Figaro Bénéteau: «Il ne va pas falloir se positionner en fonction de la dorsale anticyclonique dans le golfe de Gascogne mais en fonction de la dépression au large du Portugal, explique-t-il. Passer l'anticyclone dans le bon sens mais se retrouver ensuite coincé dans la dépression ou choisir de passer l'anticyclone avec les vents contraires alors que ça passait tout droit sera catastrophique». À n'en pas douter, à 24 heures du départ, le match des stratèges est déjà lancé.