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Le fondateur du chantier éponyme, Gilbert Pasqui, est un personnage emblématique et passionné, dont l’œil malicieux s’anime immédiatement dès lors que l’on parle de bateaux, de structure en bois, d’histoires maritimes et de courses à la voile. Nous l’avons rencontré dans son atelier, dans un échange sincère et chaleureux lié à 35 ans de relations amicales.
Aller à la rencontre de Gilbert Pasqui c’est rencontrer un personnage authentique, il faut dire que Gilbert a choisi, non sans clin d’œil, d’installer son chantier dans ce lieu hautement symbolique, chargé d’histoires maritimes : le Port de la Darse. En effet dès le XVIIIème siècle, la Darse devient un véritable arsenal équipé de magasins, d’un hôpital pour les galériens, d’une caserne et d’une corderie. Encore aujourd’hui ce port est directement hérité du temps de la marine à voiles, et si les différents bâtiments en témoignent, l’activité du Chantier Naval Pasqui perpétue désormais l’histoire du site.
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Et c’est au sein de deux voutes des bâtiments historiques, impressionnantes par ses dimensions (l’une mesure en profondeur près de 40 mètres), que le Chantier Naval Pasqui intervient sur de nombreux bateaux dont la liste est un véritable inventaire à faire rêver un conservateur de musée maritime, pour ne citer que quelques noms : Tuiga, Moonbean III, Mariska, Halloween, Orion, Rowdy, Apache, Zaca, Altair…
La taille n’importe pas pour Gilbert et ses compagnons, qui œuvrent avec passion et détermination pour conserver en état de naviguer, voire de régater au plus haut niveau, ce riche patrimoine maritime dont certaines unités sont plus que centenaires, dont Tuiga (1909) du Yacht Club de Monaco.
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Il y a certes le savoir-faire du chantier, mais Gilbert apprécie d’une manière plus subtile, la relation humaine avec les armateurs et les équipages, qui est aussi un aspect déterminant dans son approche du métier, sa motivation et la fierté qui se dégage en évoquant son activité. Nombreux sont les clients qui reviennent d’une manière régulière pour confier au chantier l’entretien ou la restauration de leur bateau classique.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Trophée Pasqui est né, rendez-vous annuel d’une flotte de bateaux classiques (jusqu’à 40 unités), lors d’un événement nautique où régates et festivités se confondent pour célébrer le plaisir de voir ces unités naviguer toutes ensemble sous le patronage de Gilbert.
Au-delà de la restauration des coques, l’une des grandes expertises du chantier porte donc sur la construction d’espars en bois (mâts, bôme, beaupré, mât de flèche, etc…). Pour cela deux essences de bois sont principalement utilisées dans ce type de construction.
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D’une part le Spruce, qui est un épicéa, et dont le bois est tendre et homogène. A noter qu’il est également convoité en lutherie pour la réalisation des tables d'harmonie des pianos, harpes, violons, mais aussi en archerie pour la fabrication de flèches, du fait de sa grande rectitude et de sa faible sensibilité aux variations thermiques et hygrométriques.
Et d’autre part le Douglas, qui dispose de très bonnes qualités mécaniques, associée à des fortes sections et de grandes longueurs disponibles qui se prêtent bien aussi à la fabrication de mât.
Ces deux essences proviennent principalement d’Amérique du Nord (Côte Ouest du Canada), et Gilbert ne cache pas que l’approvisionnement de lot de qualité fait partie du savoir-faire du Chantier Naval Pasqui. Au gré de la visite on aperçoit d’ailleurs le stockage très minutieux des différentes essences dans l’attente d’être façonnées et assemblées.
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L’art de construire un mât en bois performant repose sur les mêmes critères que les mâts modernes, c’est-à-dire légèreté, raideur, inertie et évidemment solidité. Si à l’ère du carbone cela semble facile avec ce matériau en intégrant différents tissus (grammage et orientation des fibres), ces critères sont beaucoup plus subtils à réunir avec un matériau naturel qu’est le bois.
Parfois un architecte naval (souvent Jacques & Nicolas Fauroux pour les bateaux de jauge métrique) assiste Gilbert et ses compagnons dans l’étude et la fourniture de plan de réalisation des espars, il y a aussi une maitrise des scarfs (pour faire simple il s’agit de la technique d’assemblage des différents morceaux par découpe en biseaux), ainsi que des différents collages et contre-collages associés. L’objectif étant de réaliser un profil de mât creux, disposant des qualités attendues (solidité, nervosité, légèreté et longévité). Lors de la visite au chantier, le grand mât (26 mètres) de la goélette Orianda était en cours de fabrication, Steve et un autre charpentier de marine œuvrait très minutieusement au collage en cours. Sur certaines phases près de 300 serre-joints sont utiliser pour assurer les collages.
Il y a quelques mois le nouveau mât du plan Fife de 28,40 mètres Sumurum a été livré à Brest au Chantier du Guip, soit un espar de 37 mètres de long (cf. photo d’illustration), sans doute l’un des plus grands mâts construits par le chantier, avec le grand mât de Zaca a te Moana (46 mètres).
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Aujourd’hui à 72 ans et après 57 années de travail, Gilbert a anticipé depuis plusieurs années la transmission du métier à Steve et Laurent, qui ont démarré l’activité comme apprentis avec Gilbert voici vingt ans, et qui sont aujourd’hui devenus les futurs repreneurs. Tous deux disposent aujourd’hui du savoir-faire et des qualités humaines pour assurer pleinement la continuité d’activité avec la même passion et ferveur…
Nota : Le Chantier Naval Gilbert Pasqui est labellisé « Entreprise du Patrimoine Vivant », et son fondateur est Maitre Artisan en Métiers d’Arts et Chevalier des Arts et des lettres.