L’aventure commence dans le Bronx
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Le weekend de Mémorial Day est enfin arrivé aux Etats-Unis et avec lui le début officiel de la saison estivale pour les New-Yorkais. Les plages sont ouvertes au public et les bateaux de touristes ont repris leurs balades autour de Manhattan. Comme beaucoup d’autres voiliers, notre bateau Moon River est enfin au mouillage après un long hiver au sec. Ni lui ni l’équipage ne sont tout-à-fait prêts mais il nous reste encore quelques semaines pour tout régler avant le départ. Rien de tel que le clapotis des vagues sur la coque pour s’imaginer dans l’océan. Un an en mer !
Notre voyage nous emmènera jusqu’aux rives de l’Afrique, en passant par les Bermudes, les Açores, Madère, les îles Canaries et celles du Cap Vert. Après le Sénégal, nous remettrons le cap à l’ouest en direction des Caraïbes et des Bahamas pour finir normalement sur la côte est des Etats-Unis.
C’est dans le Bronx, à City Island, que commence l’aventure. La petite île de 2,4 km de long sur 1 km de large est située à l’extrémité est de New York. C’est là que mouille Moon River depuis quatre ans. A une heure de Manhattan en métro, l’île jadis peuplée d’Indiens Siwanoy et Lenape, rappelle les villages de pêcheurs de la nouvelle Angleterre. Le trajet sur la ligne 6 du métro new-yorkais offre à lui seul un aperçu spectaculaire de la diversité de la ville. Nous montons à la station 77. Les vieilles dames apprêtées de l’Upper East Side, abusant occasionnellement du Botox, laissent progressivement la place aux minorités noires et latinos des quartiers modestes. Plus on s’enfonce dans le Bronx, plus les conversations s’animent et plus les boucles d’oreilles en (faux ?) diamant se portent larges chez les hommes. On reconnait ceux qui se rendent à City Island au matériel de pêche qu’ils transportent.
Pour arriver jusqu’à la petite île de 4300 habitants, il faut encore traverser en bus le parc de Pelham Bay, célèbre pour ses perroquets d’Amérique latine, ses daims et les dizaines de cadavres qui ont été retrouvés là au plus fort du règne des gangs, dans les années 90. City Island ne ressemble à aucun autre endroit à New York. L’île où de nombreux films ont été tournés, a même un nom pour sa population indigène : les « chasseurs de palourdes ». Les résidents non natifs s’appellent des « avaleurs de moules » et les autres comme nous, sont juste les « autres ». C’est ici que les bateaux de l’America’s Cup étaient construits autrefois et l’île a gardé la tradition des artisans de la mer. Nous sommes dans l’un des quatre clubs nautiques, au Morris Yacht and Beach Club, une organisation centenaire qui tient à ses formalités. Pour devenir membre de ce club dirigé par un « commodore » et un « capitaine de la flotte », il ne faut pas avoir forcément beaucoup navigué mais il faut s’engager à un certain nombre d’heures de volontariat. En réalité, pour être réellement admis au sein de cette petite communauté très solidaire, il vaut mieux passer de nombreuses heures au bar. Moon River et son équipage exotique ont longtemps intrigué mais depuis que la rumeur de notre voyage « autour du monde » s’est répandue après la parution d’un article dans « Sailing Magazine », on vient nous voir en nous demandant si « c’est bien vrai » et si on emmène « ou pas » nos filles de huit et dix ans. Du coup, au Morris Yacht and Beach Club, on se prend à rêver de voyages au long cours. Personne ne semble prêter attention au sujet de l’article : nos problèmes… de mal de mer.