A nous l’Océan
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Francis Joyon vient de pulvériser le record de l’Atlantique nord en 5 jours, 2 heures et 56 minutes. Nous sommes à notre tour sur le point de partir mais je pense que si nous mettons 5 jours à faire la traversée de New York aux Bermudes, ce sera déjà bien. Notre bateau Moon River fait du 7-8 nœuds de moyenne et nous avons emporté avec nous une collection de chaussures digne d’Imelda Marcos et une bibliothèque papier peu raisonnable.
Mais nous ne sommes pas pressés. Après cinq ans de vie trépidante à New York, nous partons, non pas pour arriver, mais pour parcourir l’océan lentement, d’une île à l’autre au gré du vent et de nos envies. Reste à avitailler le bateau en produits frais, vérifier encore une fois la météo et abandonner à terre les choses vraiment « inutiles ». Après une intense session avec Zéphyr, 10 ans et Looli, 8 ans, nous avons décidé de garder les déguisements et les perruques et de nous délester des boites de bacon en conserve de Sebastian.
Nos amis nous ont apporté des vivres pour le voyage : un pot gigantesque de Nutella, du saucisson sec, des biscuits salés et des épices « hipster » comme on n’en trouve qu’à New York, du chocolat au goût chamallow, de la bière artisanale brassée à Brooklyn par un journaliste français, de l’Armagnac, de l’eau de vie de Géorgie (pas celle des Etats-Unis), du champagne pour notre anniversaire de mariage dans un mois, etc. Huit amis de Washington DC, Brooklyn et Californie ont enregistré spécialement pour nous une version fantastique de la chanson « Moon River » à l’ukulélé. Je l’ai mise sur nos iPod.
J’ai préparé la pharmacie en suivant les conseils d’un commandant de l’US Army. Sebastian a réaménagé le bateau de fond en comble. Adieu la télévision et la climatisation des anciens propriétaires. A la place, trois ancres, plus de voiles, une énorme pompe manuelle si jamais le bateau prend l’eau, un harpon avec l’espoir que cette fois-ci nous attraperons autre chose que les poissons volants qui tombent malgré eux sur le bateau, et un barbecue flambant neuf. A la dernière minute, nous nous sommes aussi procurés une petite machine qui transforme l’eau de mer en eau potable. Au cas où nous nous retrouvions sur le radeau de survie. La perspective d’avoir à pomper pendant quatre heures à la main pour obtenir 3,7 litres d’eau ne m’excite pas du tout, mais s’il le faut je pomperai.
Looli et Zéphyr craignent une collision avec une baleine. Je n’aurais jamais dû leur raconter notre accident évité de justesse il y a plus de dix ans en Méditerranée avec un cétacé deux fois plus gros que notre petit bateau de l’époque.
Dans quelques jours si tout va bien, nous serons dans la mer des Sargasses, dont nous explorerons les créatures aux formes préhistoriques. Cette mer sans rivage au coeur de l’Atlantique, crainte des marins d’autrefois à cause de ses algues « effrayantes », méprisée par ceux d’aujourd’hui en raison de ses vents faibles, nous fascine.