Un dîner sur la banquise avec les frères de la côte
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C’est chez les Frères de la Côte normands que j’ai été reçu un samedi soir pour un moment de partage autour du récit de voyage de l’un d’entre eux.
Cette confrérie est héritière de la flibuste. Le flibustier (de l’ancien anglais flibutor signifiant « libre faiseur de butin ») est un corsaire, pas un pirate.
Aventurier, homme libre respectant un code d’honneur, le frère comme le flibustier promeut l’entraide, la solidarité, la camaraderie, l’hospitalité. Le butin du frère contemporain est une richesse basée sur le partage des expériences, mais aussi des émotions.
Peu importe la classe sociale ou l’aspiration politique, chacun ne s’adresse à son frère que par son surnom. Et c’est ainsi que diner avec les frères de la côte c’est comprendre les passions de Seafond, les soucis de Vogaplat, les projets de Rémora, les expériences d’Astrolabe. Ce soir c’est Lockroy (je n’ai pas encore deviné l’origine de son nom de frère mais ça sonne impérial et marin déterminé) qui régale la confrérie avec son compte-rendu de l’été au pays des icebergs.
Pour assouvir sa soif de glace il part en voyage, durant les grandes vacances qu’il s’aménage, sur son fier voilier qui respire le « bien conçu » et le « bien préparé ». Avec ses frères qui se relaient à son bord il fait route, via l’Islande, vers le courant froid de décharge de l'Arctique, qui transporte icebergs et banquise le long de la côte est du Groenland. Là il rencontre ces montagnes de glace (c’est ce que signifie le mot isberg en norvégien). Et bien sûr la rencontre est aussi émouvante que spectaculaire. Si un iceberg a rarement plus d’un an, il ne faut pas oublier qu’il est constitué de couches de neige qui se sont accumulées pendant des milliers d’années sur un glacier à terre. Celle langue de glace, croulant sous son propre poids, rampe vers la mer où elle finit par se casser en morceaux. Ces morceaux, nos icebergs, se laissent pousser par les vents et porter par les courants pour descendre vers le sud.
Rencontrant de l’eau de plus en plus chaude, la partie immergée fond, l’iceberg se déséquilibre, se retourne et cela de multiples fois avant d’avoir totalement fondu. La glace qui était sous l’eau ressort toute lisse toute brillante. Ses reflets sont différents des sommets qui ne se sont pas encore baignés et qui exposent une neige ancienne, parfois même poussiéreuse.
Et Lockroy raconte avec simplicité et érudition tout ce qu’il a découvert, appris, admiré. Il raconte les dangers mais aussi les couleurs et les formes. Il explique ces drôles de lignes bleu turquoise qui correspondent à d’anciennes failles ou crevasses remplies d’eau de fonte à nouveau solidifiée.
La montagne de glace aux mille facettes offre des images sublimes. Et comme si cela ne suffisait pas, les grands icebergs promènent parfois autour d’eux des brouillards formés par la condensation due au froid qui les accompagne. Féérique.
Atmosphère, atmosphère ! Il y a chez les frères de la côte une vraie gourmandise pour les richesses de la nature, celles de la mer, celles de l’atmosphère. Les flibustiers du 16ème écumaient les côtes des Caraïbes pour partager de clinquants et trébuchants butins. Ceux du 21ème utilisent l’éternelle puissance du vent mais aussi les récentes techniques pour naviguer ailleurs et parfois s’aventurer dans des eaux glaciales à la recherche de nouvelles sensations …. Qu’ils ramènent pour le partage.
Merci les frères.