La météo et les records à la voile
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A l’heure où la Classe Ultime est en pleine effervescence, il est intéressant de se projeter dans les prochaines tentatives d’amélioration du record des voiliers les plus rapides autour du globe, porté à 40 jours et 23h30’ par l’équipage de Francis Joyon en janvier 2017, et d’envisager si notre météo aura toujours autant d’importance dans la chasse au Trophée Jules Verne.
Constatons d’abord que depuis 1993, où l’équipage de Bruno Peyron avait mis la barre à 79 jours, l’amélioration s’est faite constamment en 24 ans. Les 12 premières années ont vu un gain de 28 jours, les 12 années suivantes, un gain de 12 jours. C’est une évidence, la marge de progression se réduit, on tend vers une asymptote, vers un « seuil maximal de performance ». On y est pas encore, contrairement à l’athlétisme où la performance n’est qu’humaine (si on fait abstraction du dopage), le sport mécanique fait progresser la science. Les progrès faits dans la conception des voiliers est « sans borne » et le nouveau bateau de Thomas Coville a bénéficié de 50 000 heures d’études pour intégrer moult nouvelles technologies.
L’application de la météo dans le domaine de la course au large est aussi une science qui nécessite qu’on lui consacre du temps d’étude pour en tirer toujours meilleur profit.
L’exploit de Francis Joyon réalisé durant l’été austral 2016-2017 doit l’essentiel de sa réussite aux conditions rencontrées, et brillamment utilisées, dans les mers du sud. Le potentiel de vitesse du bateau lui a permis de tenir à l'avant d’un front qui s'est déplacé à une vitesse idoine et qui a maintenu pendant 12 jours un vent portant de plus de 30 nœuds. Il faut reconnaître que c’est une grande chance que d’avoir pu bénéficier de ces conditions idéales pour ce bateau. On pourra de moins en moins compter sur la chance pour améliorer le record, et si une bonne gestion de la météo permet actuellement de choisir le créneau de départ pour, depuis Ouessant, être le plus rapide jusqu’à l’équateur, il faut enrichir nos connaissances pour ne pas avoir à s’en remettre au hasard en ce qui concerne les situations météorologiques des 30 jours qui suivent.
Y-a-t-il un rapport entre la circulation dépressionnaire dont Joyon a bénéficié et le phénomène El Niño qui se produit de façon cyclique dans le Pacifique et qui a de fortes répercussions, encore mal connues, à l’échelle planétaire ? Une recherche, orientée dans ce sens, sur les effets de l’ENSO (El Niño et Southern Oscillation), le phénomène climatique qui relie El Niño et l’oscillation australe de la pression atmosphérique, permettrait vraisemblablement de mieux utiliser ces marqueurs du climat.
Nous avons en tout cas besoin de voir plus loin. Il faut que la fenêtre météo qui détermine la période de la tentative d’améliorer le record passe de l’état de lucarne qui permet actuellement d’apercevoir la météo jusqu’à l’équateur à l’état de large baie vitrée pour repousser notre horizon jusqu’au grand sud, et plus tard sur la déterminante remontée de l’Atlantique.
Il y a du boulot ! Peut-être pas les 50 000 heures dédiées à la conception du bateau, mais il deviendra de plus en plus nécessaire de s’investir dans la météo, car depuis toujours, il ne suffit pas de posséder le bateau le plus rapide, il faut savoir par où le mener.