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Figaro Nautisme. - Quelles sont vos conditions?
Tanguy de Lamotte. - Aujourd'hui, je navigue tribord amure. J'ai 20 noeuds de vent, j'ai un ris dans la grand voile, mon petit gennaker et ma trinquette donc j'avance avec 3 voiles en place. La nuit tombe, je vois la lune par le hublot, c'était une bonne journée. Même s'il faisait frais, on a eu du soleil, et je suis en route presque directe pour la première porte d'Australie qui se trouve à 800 milles.
Votre souhait au début de la course était de faire une belle navigation. Pensez-vous que vous y arrivez pour le moment?
Pour l'instant, j'ai fait quelques petits écarts dont je me serais bien passé mais avec les bateau qui sont devants moi comme Arnaud Boissières et Bertrand de Broc, je ne suis pas trop mécontent. Je n'ai pas fait trop de grosses erreurs et surtout le bateau est toujours en bon état, c'est le plus important. J'ai traversé une première zone de vent fort dans les 40e il y a quelques jours et ça s'est plutôt bien passé donc je continue mon apprentissage. Je suis content d'être encore en course et d'aborder l'Australie, la Nouvelle-Zélande et bien sûr, l'océan Pacifique.
Êtes-vous surpris par le grand Sud pour votre baptême du feu?
Tout à fait. J'ai mis du temps à réaliser que les conditions allaient être difficiles parce qu'on reste assez nord avec les portes des glaces. Déjà avant le cap de Bonne Espérance, on a eu des conditions assez fortes mais ce n'était pas encore réellement les Mers du Sud. Il y a quelques jours, on a vraiment eu des conditions avec des grosses vagues, des gros nuages et les albatros derrière et là on se rend vraiment compte de ce que sont les Mers du Sud. J'ai découvert ça avec beaucoup de plaisir et pour l'instant, je ne suis pas déçu. En plus, je n'ai pas encore eu trop froid mais je pense que ça va venir avec les trajectoires plus Sud que l'on va pouvoir prendre à présent.
Vous allez prochainement entrer dans le Pacifique, comment voyez-vous cette zone?
Le Pacifique est encore un peu loin pour moi. Jusqu'à Noël et jusqu'au passage dans le Pacifique, je pense que les conditions vont être assez correctes et maniables. Il y aura 4000 milles à effectuer dans cet océan donc on n'aura pas le choix, il faudra passer dans des tempêtes, dans des zones de vent fort. De la même manière que dans l'Indien, il faudra rester prudent et gérer sa monture pour voir le Cap Horn.
Le Vendée Globe vous apporte-t-il le côté «aventure humaine» que vous espériez?
C'est sûr que moi je suis plus du côté de l'aventure que de la régate. En étant depuis maintenant 40 jours seul en mer, on apprend tous les jours, on découvre, on modifie ses habitudes, il y a des choses qui nous manquent plus que d'autres. Certaines choses, on pensait qu'elles allaient nous manquer et finalement pas tant que ça. Vivre dans un espace aussi petit au milieu d'une telle immensité, c'est assez spécial. Je ne parle pas encore aux albatros mais c'est pas plus mal quand même qu'il y ait une présence vivante autour de soi. Même si j'ai régulièrement au téléphone ma famille, mes proches, on se sent assez seul. On est vraiment seul sur nos bateaux mais pour l'instant, je le vis bien et ma course se passe bien donc ma vie à bord reste agréable.
O n vous a vu danser au rythme de Deep Purple, avez-vous besoin de cette débauche d'énergie supplémentaire pour rester dans votre course?
Ce sont des moments forts qui m'aident à partager mais aussi à passer du bon temps sur cette course dans les moments difficiles. Quand on dépasse ces moments, on est content et ça fait du bien de se faire plaisir sur une guitare comme j'ai pu le faire avec Deep Purple. C'était vraiment un moment fort, qui restera gravé dans ma mémoire.
Vous êtes avec Alessandro Di Benedetto le skipper le plus apprécié du public, en êtes-vous conscient?
On me dit que ça plaît, que les gens regardent, tant mieux. La course devant est palpitante mais j'ai l'impression que les skippers n'envoient pas beaucoup d'informations, au contraire, ils en cachent beaucoup et ils ne sont pas très expansifs. Moi c'est mon caractère d'aimer partager avec un maximum de personnes et du coup, j'en profite. C'est vrai qu'avec Alessandro on a sûrement plus le profil de l'aventurier et plus de temps pour faire ça. On a peut-être aussi plus intérêt à le faire que ceux qui sont devant qui sont plus concentrés chaque seconde sur leur bateau. Moi je suis très content de le vivre de cette manière parce qu'on me dit que des gens suivent la course pour ldes raisons différentes.
Aujourd'hui, vous réalisez un Vendée Globe modeste. Avez-vous déjà l'envie de revenir avec un bateau qui puisse rivaliser?
Il y a un an, je ne pensais pas m'élancer sur le Vendée Globe donc pour l'instant, je profite vraiment à fond de celui-là. C'est sûr que, sans me prendre la tête, je me pose la question de savoir si ça vaudrait le coup de vivre cette course d'une manière différente. Aujourd'hui, j'apprécie la manière dont je la vis. J'en parlerai peut-être avec les copains qui sont devant mais pour l'instant, je profite de ce que je vis. En plus, quatre ans, c'est loin. J'ai pas envisagé une carrière de skipper quand j'étais jeune, peut-être que je dessinerai un bateau pour quelqu'un d'autre sur le prochain parce qu'à la base, je suis architecte naval. On verra bien, je vais voir comment se finit la course, si je réussis à la finir et j'ai le temps de voir pour ce qui se passera derrière.
Qu'avez-vous prévu pour Noël?
Dans la préparation du bateau, j'avais simplement demandé qu'il y ait du foie gras parce que mon oncle, qui est aussi mon parrain, en fait près des Sables d'Olonne. Ensuite, j'espère avoir un déjeuner un peu spécial et une petite bouteille de champagne pour faire une petite soirée un peu spécifique. Certains cadeaux sont déjà ouverts mais le reste je le ferai au milieu d'un coup de fil aux frères et soeurs et aux parents pour partager de loin ces moments avec eux.