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Comment se passe votre confinement ? « Très bien, je suis confiné à Nantes et j’ai mon petit programme quotidien. J’arrive à rattraper le temps perdu et faire tout ce que je n’ai pas eu le temps de faire dans les semaines et mois précédents. Je m’occupe de moi, de la maison, du jardin. Je fais 1h de vélo d’appartement tous les jours avec un entrainement cardiaque suivi, et un peu de gym. Je bouquine, je fais la cuisine… Ma femme fait les courses car j’évite de sortir, je suis une personne à risque donc cela fait une éternité que je ne suis pas sorti. Tout va bien ! »
Quelles sont vos lectures du moment ? Et vos films ? « Je ne regarde pas beaucoup de films, je n’ai pas d’abonnements à des plateformes, je zappe le soir. Mais sinon je lis en ce moment un bouquin qui résume de nombreux naufrages. Le dernier naufrage expliqué était celui de La Méduse et c’est stupéfiant, d’autant qu’il y a trois témoignages d’époque… C’est incroyable comme histoire, et j’ai eu du mal à m’en remettre, du coup ma lecture est en pause, je digère... ils n'ont vécu "que" une quinzaine de jours de « confinement » mais qui ont rapidement mal tourné. Sinon j’ai une vingtaine de bouquins en retard… j’ai de quoi m’occuper ! »
En parlant de bouquin, une présentation de votre dernier livre « Le dernier loup de mer » ? « J’ai voulu faire un livre grand public. Je ne raconte pas que la dernière course, mais aussi comment j’en suis arrivé là, ma vie, des choses un peu plus personnelles que dans mes deux livres précédents. Il y a à la fois ma vie à bord et ma vie personnelle. Les gens qui prennent ce livre pour avoir des détails sur la Golden Globe Race seront déçus car ce n’est que la moitié du livre. Il aurait fallu faire deux livres finalement ! Mais je suis trop lent, et je ne suis jamais content de ce que j’écris… Je suis plus navigateur qu’écrivain ! Parfois on me demande d’écrire une préface mais ça me prend deux jours… Mais la dernière que j’ai faite à l’air de plaire : c’est pour une bande dessinée qui doit sortir en juin, d’un dessinateur des Sables d’Olonne qui a un héros qui s’appelle Alban Dmerlu, c’est une BD plutôt humoristique. »

Et concernant la Golden Globe Race 2022 ? « Je ne suis absolument pas impliqué dans l’organisation de cette course mais si on me demande mon avis, je le donnerai comme toujours. Je ne souhaite pas avoir de responsabilités là-dedans : ce que j’aime c’est naviguer. Je laisse l’organisation, les relations publiques etc. à ceux qui savent le faire ! »
Des évènements auxquels vous deviez participer ont-ils été reportés ? « J’avais des tas de choses de prévues. Mon sponsor Matmut me soutenait encore cette année pour faire tout le programme de régates. Tout a été annulé alors Matmut est à quai et attend que je revienne patiemment. Quant à mon ancien bateau, il est vendu à un néo-zélandais qui me disait que le gouvernement parle de fermer les frontières pendant un an… Chacun sa politique. Mais nous ne pouvons pas nous plaindre en France même si tout n’est pas parfait, nous sommes soignés pratiquement gratuitement, le personnel est extrêmement compétent… même si tout n’est pas parfait. Il suffit de regarder chez nos voisins. »
Que pensez-vous de l’évolution de la plaisance ces 40 dernières années ? « Nous on rêvait à l’époque de partir, d’avoir notre propre bateau, et j’en rêve toujours d’ailleurs, de pouvoir naviguer n’importe où. Aujourd’hui, il y a encore quelques jeunes qui se consacrent au bateau mais l’esprit a complètement changé. Les jeunes zappent beaucoup plus et donc il y a tellement d’occupations : on fait du kite, de la planche, de l’habitable… Il y a tellement de moyens d’évasion que les gens testent. Donc forcément quand on n'utilise son bateau qu’une semaine par an parce qu’on a plein d’autres choses à faire, on se rend compte qu’il est bien plus intelligent d’en louer un. Il y aura toujours un petit lot de gens qui va continuer à faire des régates mais il y en a de moins en moins. J’ai connu le Spi Ouest France : si on n'était pas inscrit à Noël, on n’avait pas de place. Aujourd’hui, on peut s’inscrire quand on veut. Je dois faire la Course Croisière des Ports Vendéens en juillet et j’ai reçu un mail m’alertant qu’il ne peut y avoir que 100 bateaux or il n’y en a que 3 pour l’instant… alors ça va ! Il y a quand même une désaffection des propriétaires et le monde change. »
Il y a tout de même un certain engouement autour des courses d’Ultimes, des records de tours du monde… « Oui parce que ce sont des sports extrêmes et les gens qui se retrouvent à vivre six semaines confinés sur un bateau, cela fait prendre conscience aux gens de la difficulté de la chose. Les Français sont assez excités par la course en solitaire, et puis par ces bateaux qui vont si vite. Les temps ont bien changé depuis le premier Vendée Globe en 89. Cette progression existe aujourd’hui et perdurera… On cherche toujours à faire mieux et plus. »
Un conseil aux jeunes générations de marins ? « Rester optimistes quoi qu’il arrive et d’être un peu fatalistes aussi. Avec le contexte actuel, on sait bien que les premiers budgets qui vont sauter ce sont les budgets de sponsoring, de la culture… C’est un point d’interrogation et cela sera peut-être de plus en plus difficile de trouver des sponsors. Puis, est-ce que le Vendée Globe va avoir lieu ? Est-ce que les coureurs vont pouvoir s’entraîner ? Enormément d’incertitudes… mais c’est bien aussi ! Cela remet en cause beaucoup de choses et on va peut-être changer un peu de civilisation. Il y a eu un avant, il y aura un après. Je trouve cela assez excitant la modification de notre façon de vivre, où l’on se rend compte que c’est plus important d’acheter des pommes de terre plutôt qu’un vêtement. Les magasins sont fermés et on arrive à vivre quand même. »

Un regret et un meilleur souvenir ? « Mon plus gros regret c’est de ne pas avoir fait le premier BOC Challenge en 1982. J’ai fait celui de 86 mais j’aurais aimé faire le premier. Je pense que c’est mon seul regret. J’ai toujours fait dans ma vie ce que je voulais, ce que j’avais décidé de faire et en plus je n’ai pas trop mal réussi, ce qui fait que je n’ai pas beaucoup de regrets. Mais des moments extraordinaires j’en ai un paquet… aussi bien en bateau qu’en famille. C’est très différent. Ma plus grande joie dans ma carrière c’est d’avoir réussi à faire le premier Vendée Globe (à bord de 36.15 MET, sponsorisé par METEO CONSULT toute juste créée, ndlr). J’ai toujours bien aimé les premières éditions : j’ai fait les deux premières Mini, les deux premiers Vendée Globe, le premier Golden Globe, le tour du monde en sens inverse… j’aime bien être pionnier. Aujourd’hui les bateaux du Vendée Globe sont tous assez similaires, on sait comment faire. Lors de la première édition, les bateaux étaient très disparates entre celui de Poupon, Lamazou, Jeantot et le mien. Et puis en plus on se posait la question : va-t-on y arriver ? Peu de gens savaient faire un tour du monde sans s’arrêter. Il y avait beaucoup plus d’inconnues. Alors même si j’étais meilleur au deuxième, le premier m’a marqué. »
Au total, vous avez fait 6 tours du monde. A quand le 7ème ? « Non pas de 7ème, en tout cas pas en course. Mais avec mon bateau, en famille oui c’est un rêve… et je suis en train de faire tout ce qu’il faut pour l’assouvir en ce moment ! »
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Et pour terminer, quelles sont les trois valeurs qui vous ont fait avancer ? « En 1 je dirais mon optimisme, en 2 ma prudence qui a été un atout mais aussi parfois un inconvénient puisque je n’ai pas toujours osé suffisamment. Dans le dernier Golden Globe, j’étais le seul à réduire mon mât de 1,50 m et si je ne l’avais pas fait, je ne serai sûrement pas arrivé puisque tous ceux qui ont chaviré ont cassé leur mât. Et enfin la rigueur car lorsqu’on court en solitaire, on n’a pas d’œil extérieur. Si on est dans son duvet, qu’il fait mauvais dehors, qu’il fait nuit, qu’il pleut et qu’il faut faire un changement de voilure et bien, il y a ceux qui se lèvent, et ceux qui ne lèvent pas… Cela demande de la rigueur et du mental, ce sera la 4ème valeur ! »
« Après une tempête, vient toujours le beau temps ». On va peut-être retrouver un monde plus humain, plus centré sur les choses importantes de la vie. Aujourd’hui on se rend compte que le « simple » fait d’être en vie c’est déjà bien, on relativise. Même si tout le monde ne vit pas son confinement dans les mêmes conditions. »