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Le ferry qui assure la liaison entre Largs et la grande île de Cumbrae voisine semble imperturbable. Ni les 105 pieds de Kentra, Moonbeam III et IV, ni les 96 pieds de Mariquita, tous au mouillage devant l’une des plus belles marinas d’Ecosse, ne perturberont le service mondialement réputé de la Caledonian MacBrayne. Le dragon qui orne l’étrave de la plupart des plans Fife depuis plus d’un siècle aurait pourtant de quoi impressionner le modeste lion des cheminées de la « CalMac ». Qui plus est, bien à l’abri dans le port, plus d’une vingtaine de voiliers à l’élégance rare, sont également présents, un record.
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Trois générations de génies
Ils sont tous issus de la table à dessin, voire des ateliers mêmes, de trois générations de Fife, qui ont œuvré en ce lieu, devenu sacré pour les passionnés, de 1790 à 1944. La pluie battante et les rafales bien au-delà de trente nœuds qui règnent pour le premier jour de ce rassemblement, ne font pas honneur à l’un des « plus beaux plans d’eau au monde » selon les locaux. Généralement plutôt abrité, il a séduit au début du XXeme siècle les riches familles de Glasgow souhaitant s’adonner aux joies du « yachting ». Cela a encouragé William Fife, premier du nom dans la marine pour ce fils de meunier, à se lancer dans la construction navale, soutenu dans son entreprise par le comte de Glasgow. Ce n’est pourtant qu’en 1849, avec le lancement du très réussi Stella, que son fils, le jeune William Fife II, aidé par la révolution industrielle et une demande croissante, développa significativement ce secteur. Mais si le nom de Fife est aujourd’hui mondialement connu, c’est sans doute la conséquence encore plus évidente du talent de son ultime génération. En effet, si William Fife n’eut pas d’enfant et donc pas de descendance directe, la magie de ses plans le rend éternel. Si les Shamrock I et III qu’il dessina pour Sir Thomas Lipton et l’America Cup, l’ont fait entrer dans la postérité, toutes ses créations, près de 180 répertoriées par le gardien du temple William Collier, sont de véritables œuvres d’art.

Une passion partagée des deux côtés de la Manche
Avec un aussi long historique, pas étonnant que nombre de Fife aient connu plusieurs vies. Mais certains ont traversé les âges, tel Ayrshire Lass, dessiné et construit en 1887 par William Fife II. Les Français ont de tous temps été séduits par les lignes pures tracées par l’architecte écossais. Nul besoin de rappeler ici l’attachement d’Eric Tabarly pour son Pen Duick I, une passion malheureusement fatale sur la route de la première Fife Regatta de 1998. Dans son sillage, une bonne moitié de la foule qui se presse au premier étage du Largs Sailing Club, avec vue imprenable sur le Firth of Clyde, n’a pas le très reconnaissable accent écossais, mais conversent ostensiblement dans la langue de Molière. On reconnaît là le spécialiste Hubert Stagnol, expert bois concarnois, qui s’est associé à son ami et voisin Fred Jaouen, dont le chantier JFA a accueilli cet hiver Moonbeam IV (1914) et Mariquita (1911)) pour leur programme d’entretien annuel et une superbe peinture. Rejoignant Moonbeam III (1904) dans la Fife Team créée par leurs propriétaires hexagonaux, ils sont désormais basés en Bretagne, ce qui pourrait mener à la création d’un circuit « Classique » Atlantique. Cela ne serait pas pour déplaire au propriétaire de Viola (1908), déjà basé à La Trinité sur Mer.

Show sous les douches écossaises
Dimanche, toute la flotte se retrouvait enfin sur l’eau et reprenait le fil d’un programme qui devait les mener jusqu’à Rothesay sur l’île de Bute. Les Classes 1 et 2 des grands voiliers montaient au bon plein jusqu’à Inverkip. Mariquita, avec à la barre Jacques Caraës et à la tactique Bruno Jourdren, régalait son propriétaire embarqué, menant la flotte à pleine puissance ou presque. Prudemment en effet, un ris avait été pris dans la grand-voile, ce qui se révélait être parfaitement justifié par les violents grains qui balayaient le plan d’eau à intervalles réguliers. Les plus petits, mais non moins élégants bateaux de Classe 3 remontaient directement vers l’arrivée distante de 8 milles, lofant à peine passée la grande île de Cumbrae. La première manche d’une semaine de festivités était lancée. Alors pour continuer à rêver les yeux grands ouverts restez connectés.