
Skipper et chef d'entreprise : deux mondes, un même état d'espritDamien Jenner n'a jamais suivi une trajectoire linéaire. Passionné de voile dès son plus jeune âge, il touche du doigt le haut niveau en match racing avant de faire un choix crucial : poursuivre une carrière professionnelle plutôt que la voile à plein temps. Direction la finance de marché, où il se spécialise dans les modèles mathématiques. Ce métier de "quant" le fait voyager aux quatre coins du monde. Il fait le tour du monde et finit par s'installer en Australie, où il retrouve un travail dans la finance."J'ai toujours continué à naviguer, peu importe où j'étais. C'était mon échappatoire, mon fil rouge." Partout où il s'installe, il participe à des compétitions, s'intégrant ainsi à la communauté locale des navigateurs.De retour en France à 40 ans, il décide de se lancer un défi personnel : une transatlantique en solitaire, la Transquadra. Une expérience fondatrice qui le pousse à revoir ses priorités. Il quitte alors son poste confortable pour créer une entreprise dans le domaine de l'intelligence artificielle, spécialisée dans l'accompagnement des entreprises vers la transition IA.En parallèle, il enchaîne les courses : pendant la Transquadra, il fait la rencontre de Jérôme Lesieur, un concurrent. Arrivés en Martinique, au Marin, ils décident ensemble de se préparer pour la Transat Jacques Vabre (devenue aujourd'hui la Transat Café l'Or). La transition entre la Transquadra et la Transat Jacques Vabre a été brutale. Le bateau, bien plus puissant, exige un niveau de concentration et d'expérience différent. "Une erreur d'inattention, c'est un peu comme conduire une Porsche à pleine vitesse sur l'autoroute, tout peut aller très, très vite."

Associé au Label Emmaüs pour cette Transat, ce projet a eu un impact fort sur Damien Jenner, lui faisant prendre conscience de l'importance des valeurs humaines et de la transmission.Cette aventure marque un tournant, notamment par la difficulté de l'édition 2023, marquée par des conditions météorologiques extrêmes. Un film, Le Monstre, retrace d'ailleurs cette épreuve, mettant en lumière la tempête historique qui a frappé la flotte. "C'était une épreuve physique et mentale intense. On s'est battus contre les éléments, mais aussi contre nos propres limites."
Des valeurs transposables entre entrepreneuriat et voileSi la finance et la navigation peuvent sembler opposées, Damien Jenner y voit des similitudes frappantes. D'un côté, le pilotage d'un projet d'entreprise avec ses étapes, ses équipes, ses phases de doute et de succès. De l'autre, la gestion d'une course océanique, où chaque décision compte."Dans les deux cas, il faut savoir s'entourer des bonnes personnes. En voile, seul sur l'eau, on est pourtant loin d'être isolé : il y a une équipe derrière, des partenaires, des ingénieurs. Un projet en solitaire, ce n'est jamais une aventure solitaire."Son parcours lui a appris à reconnaître ses points forts et ses faiblesses. "Je suis nul en organisation, mais j'ai appris à bien m'entourer. J'ai une capacité à me relancer, à croire en mes projets et à ne pas lâcher, mais je dois toujours garder en tête qu'un projet réussi est un projet équilibré."Lors de la préparation de la Transat Jacques Vabre, il vit un moment extrêmement difficile lorsqu'ils dématent en pleine mer. "Un démâtage, c'est un coup dur, physiquement et mentalement. Il faut savoir encaisser, rebondir et trouver la force d'avancer, même quand on est au bout du rouleau. La voile m'a appris à voir plus loin, à aller chercher au plus profond les ressources pour continuer."Après la Jacques Vabre, il se voit proposer un projet pour la Route du Rhum sur un bateau en fibre naturelle. Le projet échoue faute de financements, mais il ne renonce pas et trouve un autre bateau, un monocoque déjà prêt à naviguer. Avec l'appui de son premier sponsor, Kpler, spécialiste des données maritimes, il relance son aventure.

La santé mentale, un combat personnel et collectifC'est justement cette capacité à affronter l'adversité qui l'a poussé à mettre la santé mentale au centre de son projet. Un sujet encore tabou dans le monde du sport et de l'entreprise, mais essentiel selon lui. "On commence seulement à en parler. On a vu des nageurs, des tennismen et d'autres athlètes briser le silence. Pourtant, dans la course au large, on reste dans une culture du 'tenir bon'. Or, la solitude, l'angoisse, la pression sont omniprésentes." Armel Tripon, skipper expérimenté, avait lui aussi ouvert le débat en évoquant l'importance de la préparation mentale avant une course en solitaire. Il expliquait que bien se préparer mentalement était aussi crucial que la préparation physique et technique, car le mental joue un rôle clé dans la réussite et la capacité à gérer les moments de doute et d'extrême fatigue en mer.
Dans la course au large, le corps et l'esprit ne doivent faire qu'un, d'où l'importance d'une bonne préparation mentale. Damien s'entraîne avec Michel Desjoyeaux et est accompagné sur ce projet par Jérôme Lesieur ainsi que Stéphane Le Diraison, double participant au Vendée Globe et 18e en 2021. Leur expérience est un soutien essentiel dans cette aventure exigeante."Il y a des outils concrets qui existent, comme la sophrologie ou la gestion de la peur. Mais au-delà de la technique, il faut juste oser en parler. Ne pas laisser le silence s'installer."En préparation pour la Route du Rhum, il met un point d'honneur à intégrer ces aspects dans son projet, Damien Jenner compte bien prouver que la performance passe aussi par l’équilibre psychologique."La santé mentale ne doit pas être un sujet à part. Elle fait partie de l'entraînement, au même titre que la préparation physique."Avec cette vision engagée, Damien Jenner espère ouvrir une brèche et inspirer d'autres navigateurs, entrepreneurs, et peut-être bien au-delà.