Interview – Julie Coutts (OC Sport Pen Duick) : « La Transat Paprec fait bouger les lignes de la mixité »

Figaro Nautisme : Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre rôle chez OC Sport Pen Duick ?Julie Coutts : Je suis Julie Coutts, directrice générale d’OC Sport Pen Duick. J’ai la responsabilité de l’ensemble de notre portefeuille d’événements de course au large, qui en compte aujourd’hui six. Il y a des formats très différents : la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, l’Arkea Ultim Challenge Brest, la Transat CIC, la Solitaire du Figaro Paprec, la Transat Paprec et enfin le Tour de Belle-Île. Certains sont organisés tous les quatre ans, d’autres tous les deux ans ou chaque année, comme la Solitaire et le Tour de Belle-Île. C’est un écosystème riche, avec des publics et des enjeux très variés.
Figaro Nautisme : Comment se prépare un événement comme la Transat Paprec ? Quels sont les principaux défis ?Julie Coutts : La Transat Paprec a lieu tous les deux ans, ce qui est un rythme idéal. Ce tempo permet de ne pas se faire oublier des territoires et des partenaires tout en conservant une forme de rareté qui crée de l’attente. Il y a deux grandes phases dans la préparation. La première est stratégique : dès la fin de l’édition précédente, on fait un retour d’expérience avec les marins, les partenaires, les équipes locales. C’est le moment où l’on redéfinit les enjeux, où l’on pose les bases de l’édition suivante.La deuxième phase est opérationnelle, quand on entre dans le concret. Tous les acteurs, qu’ils soient institutionnels ou privés, se mobilisent. L’une des forces de la Transat Paprec, c’est son ancrage territorial très fort, à la fois à Concarneau et à Saint-Barthélemy. On coécrit l’événement avec ces deux territoires, qui s’investissent pleinement à nos côtés. Nos partenaires jouent aussi un rôle clé : Paprec, en particulier, nous accompagne depuis longtemps sur le circuit Figaro et a été à l’initiative du virage vers la mixité.
Figaro Nautisme : Cette édition marque un tournant avec une ligne de départ 100 % composée de duos mixtes. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?Julie Coutts : C’est une belle confirmation de la dynamique engagée ces dernières années. En 2023, le format en double mixte avait déjà été adopté, mais il restait encore des obstacles : certains skippers peinaient à trouver des coéquipières disponibles ou expérimentées, et cela limitait le nombre de participants. Malgré nos efforts, seuls 11 bateaux avaient pu prendre le départ. Cette année, nous sommes passés à 19 duos, ce qui prouve que le message est passé.Mais au-delà du nombre, ce qui me frappe, c’est que de plus en plus de femmes portent désormais leur propre projet. Ce ne sont plus simplement des binômes formés autour d’un skipper masculin qui recrute une co-skippeuse. Ce sont des femmes, jeunes ou non, qui montent leur propre campagne, trouvent des partenaires, tracent leur trajectoire professionnelle et cherchent un coéquipier pour compléter leur duo. Ce changement de dynamique est fondamental. On est passés d’une obligation de mixité à une vraie appropriation du projet par les femmes.
Figaro Nautisme : Comment s’est fait le recrutement de ces 19 duos ?Julie Coutts : C’est un processus continu, basé sur la proximité. Être installés à Lorient est un vrai atout, car c’est là que tout se passe dans la course au large. On connaît les marins, on les voit s’entraîner, on discute avec eux. On organise aussi la Solitaire du Figaro, qui est une étape quasi incontournable pour les jeunes qui veulent faire carrière. Ça nous permet d’avoir une vision globale et de travailler avec tout l’écosystème pour faire émerger ces duos. Ce n’est pas un simple casting : c’est un accompagnement, une mise en relation, un suivi au quotidien.
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Figaro Nautisme : Pensez-vous que cette dynamique de mixité puisse s’étendre à d’autres épreuves ?Julie Coutts : Oui, et la Transat Paprec est en train de jouer un rôle de catalyseur. La voile est un sport unique à cet égard : il n’y a pas de distinction de genre dans les classements. Tout le monde court ensemble, à armes égales. Bien sûr, la dimension physique existe, mais elle est équilibrée par des compétences tactiques, météorologiques, stratégiques. Il y a autant de respect à avoir pour une navigatrice que pour un navigateur. La légitimité se construit sur l’eau, et la Transat Paprec offre un tremplin à celles qui veulent prendre leur place dans le monde de la course au large.
Figaro Nautisme : Quelles sont vos attentes pour cette édition 2025 ? Qu’est-ce qui serait, selon vous, un grand succès ?Julie Coutts : Nous avons plusieurs objectifs. D’abord, offrir une course passionnante sur le plan sportif, avec des trajectoires variées, du suspense et des images fortes. Ensuite, créer un moment populaire à terre. À Concarneau, nous avons six jours de village avec des animations, des rencontres, des expériences immersives pour faire découvrir la course au large au grand public. L’idée, c’est que les gens puissent s’approprier l’événement, rencontrer les marins, comprendre leur univers.À Saint-Barthélemy, c’est toute l’île qui se met au diapason de la course pendant quinze jours. Il y a une très forte attente, notamment autour de Cindy Brun, une jeune skippeuse qui représente son île et qui est soutenue par toute la population. On sait déjà que son arrivée sera un moment d’émotion intense. Enfin, au-delà du sportif et de l’événementiel, nous voulons continuer à diffuser nos valeurs. La mixité est un combat que nous assumons pleinement, et cette course en est le porte-drapeau.
Figaro Nautisme : La météo joue un rôle crucial dans les courses au large. Comment l’intégrez-vous dans l’organisation ?Julie Coutts : La météo intervient à plusieurs niveaux. En amont, dès une dizaine de jours avant le départ, METEO CONSULT, qui est notre fournisseur météo depuis de nombreuses années, commence à nous fournir des analyses. C’est essentiel pour la logistique du village, car les structures sont temporaires, et leur montage dépend énormément des conditions météo. Cela impacte aussi la fréquentation : un beau temps attire davantage de public.Ensuite, à partir de J-3, on entre dans le cœur des décisions liées au départ. En fonction des conditions, on ajuste le périmètre de sécurité, on prévoit plus ou moins de bateaux suiveurs ou de plaisanciers. La direction du vent peut influencer la ligne de départ elle-même. Et une fois la course lancée, les bulletins météo permettent de suivre les conditions rencontrées par les duos, de nourrir nos communications, de donner du sens aux trajectoires. On vit littéralement au rythme des bulletins.
Figaro Nautisme : Comment imaginez-vous l’évolution de la Transat Paprec dans les années à venir ?Julie Coutts : Nous voulons continuer à faire grandir cette course, en termes de visibilité, de qualité sportive, de mixité, mais aussi d’impact territorial. La Transat Paprec est un point d’entrée dans le monde professionnel pour de nombreux jeunes marins, et c’est aussi là que peut se jouer l’avenir de la course au large. Plus on permettra à des femmes d’émerger ici, plus elles auront une chance de se retrouver au départ du Vendée Globe dans quelques années. Nous avons une vraie responsabilité dans cette dynamique.Nous voulons aussi renforcer l’événement sur le plan événementiel, lui donner une place encore plus forte dans le calendrier, et continuer à l’ancrer dans les territoires qui l’accueillent. Il y a encore beaucoup à construire.
Figaro Nautisme : La Transat Paprec ouvre le calendrier de vos événements. En quoi est-elle complémentaire des autres épreuves, comme la Solitaire du Figaro ou le Tour de Belle-Île ?Julie Coutts : La Transat Paprec et la Solitaire du Figaro Paprec sont très liées. On retrouve souvent les mêmes marins, la même classe de bateau, le même partenaire. C’est une forme de continuité sportive et professionnelle. En revanche, le Tour de Belle-Île est à part. C’est un événement beaucoup plus grand public, ouvert aux amateurs, festif, et familial. C’est aussi notre événement le plus dense en termes de logistique : entre 1500 et 1800 participants sur un temps très court. C’est une autre forme d’engagement, mais tout aussi stimulante.
Figaro Nautisme : Et à titre personnel, quel est votre moment préféré de la Transat Paprec ?Julie Coutts : L’arrivée à Saint-Barthélemy, sans hésiter. C’est toujours un moment suspendu, très fort émotionnellement. Voir les marins poser le pied à terre après une transatlantique, les visages marqués par l’effort, mais avec ce mélange de fierté et de soulagement, c’est quelque chose de très intense. Ce qui rend ce moment encore plus spécial cette année, c’est l’arrivée attendue de Cindy Brin. Elle porte les couleurs de Saint-Barth, elle a grandi là-bas, et toute l’île l’attend. C’est rare de voir une population autant mobilisée autour d’une skippeuse locale. Ce sera un moment de partage exceptionnel, à la fois sportif, humain et profondément symbolique.
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