Portrait de skippeuse 3/6 : Clarisse Crémer, l’intrépide
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Née à Paris, Clarisse découvre la régate à 15 ans, alors qu’elle est au lycée, mais c'est au cours de son passage à HEC qu’elle tombe véritablement amoureuse de cette discipline. Après avoir obtenu son diplôme, elle se lance dans le développement d'une startup. Toutefois, la passion de la régate lui manque cruellement, et elle décide de déménager en Bretagne pour vivre au plus près de la mer et se consacrer pleinement à sa passion.
Elle participe à de nombreuses régates, dont la Mini Transat en 2017, avant d’intégrer le circuit Figaro, où elle se confronte aux plus grands noms de la voile. Ce moment marque son entrée dans le monde professionnel de la navigation. Depuis ses débuts en régate, et pour concilier études et passion, Clarisse partage son parcours sur les réseaux sociaux, où elle se construit une petite communauté de passionnés de voile qui la suivent avec intérêt.
Un premier Vendée Globe et un premier tour du mondeEn 2020, Clarisse Crémer franchit un cap décisif en participant pour la première fois au Vendée Globe sous les couleurs de Banque Populaire. Accompagnée dans sa préparation par Armel Le Cléac’h, l’un des grands noms de la course au large, elle apprend à maîtriser les contraintes et les exigences d’un tel périple. Cette préparation minutieuse renforce sa confiance et ses compétences, des qualités essentielles pour affronter ce premier tour du monde en solitaire.Le départ est donné, et elle s’élance pour un périple de 87 jours, une aventure qui la mène pour la première fois de sa vie dans les eaux froides et redoutées des mers du Sud. Ce sont des semaines éprouvantes, où elle affronte des tempêtes, l’isolement, et des défis techniques, mais elle tient bon et réalise l’exploit de boucler ce Vendée Globe en se classant 12e au général et première femme de cette édition. Malgré les épreuves Clarisse débute un journal de bord, partageant avec enthousiasme ses journées et ses états d’âme sans filtre. Cette transparence et cette authenticité lui permettent de se faire connaître du grand public, suscitant une vague de sympathie pour la skippeuse et renforçant son lien avec ses admirateurs. Ce premier tour du monde révèle au grand public une navigatrice hors pair, alliant ténacité, lucidité et un courage impressionnant.
Après cette prouesse, Clarisse Crémer prend une pause pour réaliser un autre rêve, celui de devenir maman. Un choix de vie qui marque un tournant dans sa carrière, mais qui n’entame en rien son désir de retourner en mer. Cependant, ce choix de maternité ne se passe pas sans heurts. Son sponsor de l’époque lui propose alors de repousser sa participation à 2028, ce que Clarisse refuse, mettant ainsi fin à leur collaboration, une décision qui a fait réagir le monde de la voile tout entier. Si cette séparation représente un coup dur pour Clarisse, elle ne fait qu’accentuer sa détermination. Elle est prête à tout pour être au départ de la 10e édition du Vendée Globe, et rien ni personne ne l’arrêtera.
Une nouvelle équipe et un nouveau bateau pour un second départ Refusant de se laisser abattre par cet obstacle, Clarisse reprend les rênes de son destin. Sa quête de nouveaux partenaires aboutit lorsqu’elle signe avec L’Occitane en Provence, marque qui partage ses valeurs et son attachement à la nature. Elle reçoit par ailleurs une proposition de taille : rejoindre l’équipe d’Alex Thomson, navigateur britannique reconnu pour ses multiples participations au Vendée Globe et sa maîtrise de la navigation en IMOCA. Avec ce nouveau soutien, Clarisse se sent prête pour cette nouvelle édition. Alex Thomson rachète l’ancien foiler de Charlie Dalin, l'ex-Apivia, arrivé en tête du Vendée Globe 2020-2021 (bien que Dalin ait finalement été classé deuxième après reclassement). Lors des premières navigations et des courses d’entraînement sur ce nouveau bateau, Clarisse avoue avoir dû faire face à des difficultés pour maîtriser ce foiler exigeant. Pourtant, elle persévère, travaille d’arrache-pied et parvient à décrocher sa qualification pour le Vendée Globe.
Clarisse Crémer prendra le départ du Vendée Globe pour la seconde fois, avec dans le regard la même étincelle et dans le cœur cette persévérance qui la pousse sans cesse à relever les défis de l’océan. Soutenue par sa famille, sa fille, et une communauté de passionnés qui admire sa résilience, elle incarne cette nouvelle génération de marins : des navigateurs intrépides, connectés, et guidés par un amour profond pour la mer et la découverte.
Clarisse a répondu à quelques questions de l'organisation :
Organisation : Dans quel état d’esprit te sens-tu, à quelques semaines du départ ?
Clarisse Crémer : C’est sympa de demander (rires) ! Je dirais c’est un état d’esprit plutôt joyeux et positif, assez excitée de partir. Bien sûr, j’ai une petite ombre de stress et un léger sentiment de « dans quoi je me suis encore fourrée », mais le tableau est plutôt lumineux.
A partir de quand tu t’es dit que tu avais envie d’un deuxième Vendée Globe ?
C.C. : C’est au Cap de Bonne Espérance, sur mon premier Vendée Globe. On le dit beaucoup, mais il y un peu quelque chose d’une drogue dans cette course, elle est très addictive. C’est étonnant et surtout hyper dur à expliquer avec des mots, mais c’est comme une planète inconnue, un lieu à part où tu vis mille émotions folles. Le Cap de Bonne Espérance, c’est après trois semaines de mer, une période qu’on vit rarement finalement en mer car les transatlantiques sont plus courtes. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il faudrait que j’y retourne. Comme pour un pays que tu découvres et où tu te dis tout de suite « là, il va vraiment falloir que je revienne, pour mieux comprendre ». Sauf que le pays que tu visites en plus, c’est toi-même. Oui, c’est un peu perché tout ça quand même (rires).
Mieux comprendre ce pays inconnu qu'est toi-même, c’est ton objectif sur cette course ?
C.C. : Oui pour la partie plutôt intime. En fait, il y a plein de phases dans un Vendée Globe, c’est vraiment long. De l’extérieur, c’est difficile à en prendre conscience, mais pour nous en mer, sur chaque journée de 24 heures, il se passe un milliard de choses. Tu peux passer en quelques jours d’un sentiment d’être au plus profond du trou à la joie la plus pure qui te ferait passer à terre pour un illuminé complet. J’aimerais ressentir ces moments de joie, mais aussi mieux vivre les aléas que la dernière fois. Tomber moins bas. Et pour la partie sportive, j’aimerais un peu plus appuyer sur le champignon, être davantage en confiance.
Qu’est-ce qui a changé depuis ton dernier Vendée Globe ?
C.C. : Il s’est passé tellement de choses en quatre ans, parfois j’ai l’impression que c’est une autre vie ! La dernière fois, l’opportunité m’était un peu tombée dessus, et même si c’était une chance immense pour laquelle je suis toujours aussi reconnaissante, je crois que j’étais dans un état un peu ahuri, je ne réalisais pas bien. En plus, il y avait le Covid, c’était un moment bizarre et, en y réfléchissant, j’ai l’impression que j’étais un peu dans un trou noir, submergée par tout ce que ça représentait. Avant le départ, j’étais à la fois hyper curieuse et excitée et en même temps, j’avais un peu l’impression d’un compte à rebours qui m’emmenait vers l’abattoir. Franchement, j’étais revenue aux Sables trois jours avant le départ, un peu comme un zombie. Je crois que c’est ça qui m’a joué des tours dans les premiers jours de mon dernier Vendée Globe. Cette fois, et encore plus avec tout ce qui s’est passé, j’ai été moteur dans ce projet, et j’y retourne en pleine conscience, donc c’est très différent.
Ça n'a pourtant pas été un chemin facile pour arriver là, comment tu le qualifierais ?
C.C. : Lourd, fastidieux, pesant et tous les synonymes (rires) ! Il y a eu une première épreuve avec la perte de mon sponsor suite à ma grossesse et le gros coup dur médiatique qui s’en est suivi. Puis le début du projet avec L’Occitane en Provence, qui a demandé forcément beaucoup d’énergie, au moment où j’apprenais aussi le grand chambardement de la maternité. Et puis après, tout le processus de qualification a été hyper difficile, je ressentais une pression dingue. Et en janvier, quand j’ai commencé à sortir un peu la tête de l’eau, à me sentir mieux dans mon corps aussi, car ma fille avait un peu plus d’un an, c’est là que sont arrivées les accusations anonymes de triche sur le dernier Vendée Globe (ndlr : Clarisse Crémer et son mari, Tanguy Le Turquais, ont été blanchis de toute « mauvaise conduite » par un jury international). Je n’aurais jamais imaginé ça, cette violence. Malheureusement, les histoires sont complètement liées, il y a des gens qui ne voulaient pas que je sois au départ du Vendée Globe, mais j’essaie de mettre ça derrière moi. Ça ne reste que du bateau, il faut relativiser.
C’est forcément loin d’une préparation idéale, est-ce que tu es malgré cela satisfaite de ton projet actuel ?
C.C. : Un de mes rêves à la fin de mon premier Vendée Globe, c’était d’avoir plus de temps pour me préparer, et moins subir l’intensité du calendrier. La dernière fois, j’avais eu un projet très court en moins d’un an et demi, et là ça a fait exactement pareil. Donc c’était clairement pas ça mon idée de base. Pour le bateau c’est pareil, on n’a pas eu le temps d’entreprendre les modifications qu’on aurait pu imaginer pour me permettre d’être plus performante. Et puis, à titre personnel, j’ai laissé beaucoup trop d’énergie sur autre chose que le sportif, c’était dur. Donc non, tout n’est pas comme j’ai rêvé, mais en même temps j’ai fait la paix.
Être au départ de ce Vendée Globe constitue déjà une victoire en soi ?
C.C. : C’est sûr que j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de tout arrêter (rires) ! Mais si je me suis autant battue, c’est parce que j’en avais envie ! Il y a une forme de soulagement de partir sur l’eau et de n’avoir bientôt plus que des problèmes de marin, même s’ils sont compliqués à gérer évidemment. Mais je pars pour faire du bateau parce que c’est ce que j’aime faire. Quelque part, toutes ces histoires m’ont permis de clarifier les raisons pour lesquelles je pars. Et c’est la première fois depuis longtemps que je vais pouvoir naviguer avec un état psychologique égal aux autres, c'est-à-dire sans la pression de « moi il faut que je finisse absolument sinon je serai pas au départ du Vendée Globe. »
A travers ton parcours, tu es aussi devenue un symbole pour beaucoup de sportives et de femmes qui revendiquent le droit de combiner leur vie personnelle et leur vie professionnelle plus facilement. Tu en as conscience ?
C.C. : En tant que sportif, on ne sauve pas le monde, mais on renvoie un message. J’ai toujours dit que notre seule valeur ajoutée pour une entreprise qui nous soutient, elle est de l’ordre des valeurs et de l’inspiration. Alors oui, si mon histoire peut participer à faire évoluer les mentalités sur des sujets aussi importants, tant mieux.
Et tu te retrouves aujourd’hui, sur ce très beau bateau, ancien IMOCA de Charlie Dalin, avec lequel tu as réussi à accrocher plusieurs top 10, notamment sur la Transat Jacques Vabre 2023 !
C.C. : Pas autant que j’aurais aimé car encore une fois, il y avait cette pression de me qualifier, et on a aussi eu la casse sur The Transat CIC (fissure d’une cloison structurelle qui l’a obligée à une escale technique aux Açores, ndlr). J’ai beaucoup oscillé entre mettre le pied sur le frein pour assurer et vouloir me pousser. Mais j’ai envie de faire mieux que la dernière fois, de mettre le curseur plus haut, d’avoir une belle trajectoire et de me battre avec des bateaux de ma génération. Faire un top 10, ce serait génial.
Peux-tu nous partager ton meilleur souvenir à bord de ce bateau ?
C.C. : Un de mes meilleurs souvenirs, c’est peut-être un peu bizarre, mais c’est quatre heures après avoir cassé sur The Transat CIC. Quand j’ai vu que je le vivais bien, que la course était décevante mais que j’étais quand même contente d’être là, de retrouver le bonheur d’être en mer. Et puis, pour le côté compétition, le départ de la New York-Vendée où j’étais pas mal dans le match, et c’était assez cool cette sensation de faire de la régate avec un IMOCA.
Enfin, sur une note plus personnelle, toi et ton mari allez donc naviguer tous les deux sur ce Vendée Globe, et laisser votre petite Mathilda à la maison. Comment vis-tu cela ?
C.C. : C’est sûr que ce n'est pas anodin ! Ce qui est chouette c’est qu’on est le deuxième couple à vivre ça (après Samantha Davies et Romain Attanasio, avec leur fils Ruben, ndlr), et qu’on a pu partager nos expériences ! Évidemment, j’ai une grande peur, c’est qu’il lui arrive quelque chose pendant qu’on est en mer, mais ça fait partie de l’inquiétude d’être parent et c’est pas forcément différent à terre ! Mais de manière générale, quand je suis sur l’eau, ma fille est plutôt une force. Je pense à elle, et je sais exactement pourquoi je fais tout ça.
Ainsi, Clarisse Crémer se tient prête à écrire un nouveau chapitre, armée de l’expérience de son premier tour du monde, de la force acquise à chaque épreuve, et de la conviction qu’une nouvelle aventure ne fait que commencer.