Affronter l’invisible

Par Figaronautisme.com

Dans le Vendée Globe, la peur est comme un passager clandestin. Elle s’embarque discrètement dès le départ, planquée sous les voiles ou dans un recoin du cockpit, et surgit pile au moment où on s’y attend le moins. Une vague plus grosse que les autres ? Elle est là. Une rafale à 50 nœuds ? Elle saute sur l’occasion. Une vis qui claque en pleine nuit ? Ah, la voilà qui applaudit. Et en ce moment, elle ne chôme pas. Avec une dépression qui s’annonce copieuse en Atlantique Nord, elle sait qu’elle va avoir de quoi s’amuser. Concentrés, sérieux mais aussi un brin nerveux, quelques marins se préparent en effet à affronter la tempête, comme on se prépare à une conversation avec un douanier zélé. Mais la frousse n’est pas seulement là pour leur faire serrer les dents. Pour eux, comme pour les autres, elle est aussi un précieux garde-fou. C’est elle qui leur murmure de vérifier une dernière fois le gréement, d’ajuster le plan de voilure au millimètre. Si elle parle fort parfois, c’est pour leur éviter de devenir trop téméraires. Et puis, il faut bien l’avouer : quand on est au milieu d’un océan déchaîné, mieux vaut écouter sa peur que son ego. Ces solitaires progressent donc avec leur courage pour boussole et leur trac comme co-pilote. Ils savent que ce n’est qu’un mauvais moment à passer, un défi de plus dans cette course qui en compte des milliers. Parce qu’après tout, dans une épreuve telle que celle-ci, on ne choisit pas la météo, mais on choisit d’avancer, peu importe ce qui se dresse sur la route.

Aujourd’hui, pour Sam Goodchild (VULNERABLE), Jérémie Beyou (Charal), Paul Meilhat (Biotherm), Nicolas Lunven (Holcim – PRB), Justine Mettraux (TeamWork – Groupe Snef) et Thomas Ruyant (VULNERABLE), c’est le calme avant la tempête. Une dorsale s’est installée sur leur route, ralentissant leur progression et leur imposant une journée frustrante, presque trompeuse. Sous ce ciel apaisé, les voiles claquent parfois mollement, et les vitesses chutent. Mais tous savent que cette lenteur est une parenthèse, le calme qui précède l’assaut. Dès demain, la fameuse dépression XXL annoncée débarquera comme une diva en colère, bien décidée à secouer tout ce petit monde à grand renfort de vents violents et de vagues spectaculaires. Et ils ne seront pas les seuls à devoir composer avec son tempérament capricieux. Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence), Benjamin Dutreux (GUYOT environnement), Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer) et Sam Davies (Initiatives-Cœur) risquent eux aussi d’être aux premières loges pour ce spectacle dantesque. Le hic, c’est qu’après près de 70 jours en mer, ni les hommes ni les bateaux ne sont épargnés par l’usure. Les corps sont marqués par des semaines de sommeil morcelé, d’efforts intenses, et d’une alimentation parfois approximative. Les bateaux, eux, portent les cicatrices d’un tour du monde et ressemblent à des guerriers revenus de trop de batailles : voiles fatiguées, structures sollicitées jusqu’à l’extrême, bricolages de fortune parfois plus basés sur l’espoir que sur des pièces solides. Pourtant, l’objectif reste clair : franchir cette fameuse ligne d’arrivée, quoi qu’il en coûte. À ce stade, il ne s’agit plus d’impressionner la galerie, mais de rester dans le match et, surtout, d’arriver entier.

Quand le courage dépasse tout
Et si la fatigue se fait sentir, l’appréhension aussi. Pour cette poignée de marins qui s’apprête à affronter du gros temps pendant 24 heures, l’angoisse est presque palpable. Mais la peur ne se limite pas à ce groupe en première ligne. Elle prend mille visages dans la flotte, allant des frayeurs soudaines aux inquiétudes diffuses. Hier encore, au large du Brésil, Violette Dorange (DEVENIR) en a fait l’amère l’expérience. Dans des conditions difficiles, elle a dû affronter l’une des manœuvres les plus redoutées des marins : monter en tête de mât. « La journée a été particulièrement éprouvante, et j’en garde encore beaucoup d’émotions, entre soulagement et fatigue extrême. Le matin, la grand-voile est soudainement tombée sur le pont à cause d’un lashing cassé en haut du mât. Je n’avais pas d’autre choix que de monter. Avec 20 nœuds de vent, deux mètres de houle, et un bateau qui roulait énormément, les conditions étaient terribles. J’ai vraiment cru que j’allais me blesser. Heureusement, j’ai réussi à récupérer le hook et à redescendre. La pièce était endommagée, mais j’ai pu la remplacer par une autre. Cette ascension a été une expérience effrayante. Je l’avais déjà faite trois jours plus tôt dans des conditions idéales, et c’était déjà un défi, mais cette fois, c’était un véritable cauchemar. Je ne referai plus jamais ça dans un tel contexte : j’ai eu trop peur ! », a relaté Violette après avoir surmonté cette épreuve avec courage. Car du courage, elle n’en manque pas. Privée de colonne de winch depuis une semaine, elle doit tout manœuvrer à la manivelle, un effort épuisant. Et pourtant, malgré les défis techniques et les frayeurs inévitables, elle continue de tenir bon, prouvant une fois de plus sa résilience exceptionnelle. À seulement 23 ans, la benjamine du Vendée Globe incarne une force mentale et physique impressionnante. Sa capacité à dompter l’adversité, même dans les moments les plus éprouvants, force l’admiration.

La peur, l’alliée et l’ennemie des marins
Tout ça pour dire que dans le Vendée Globe, la peur n’est pas un simple passager clandestin. Elle est le fil rouge invisible qui relie chaque instant de cette aventure hors norme. Qu’elle soit tapageuse comme une tempête ou discrète comme une brume d’angoisse, elle rappelle sans cesse aux marins qu’ils évoluent dans un univers où rien n’est acquis, où chaque décision peut faire basculer l’équilibre précaire qu’ils s’efforcent de maintenir. Pourtant, cette peur n’est pas seulement une adversaire. Elle est aussi une force motrice, un levier d’instinct. Chaque marin apprend à l’apprivoiser, à vivre avec elle sans la laisser prendre le contrôle. Elle les pousse à se dépasser, mais aussi à respecter les limites imposées par l’océan. Pour tous, cette peur est à la fois un obstacle et une alliée, un signal constant que l’aventure qu’ils vivent est à la hauteur de leurs rêves, mais aussi de leurs défis. Et c’est peut-être cela, le vrai visage du Vendée Globe : un voyage où la peur devient un partenaire, où les marins avancent non pas malgré elle, mais grâce à elle. Parce qu’en fin de compte, dans cette course unique, ce n’est pas l’absence de peur qui compte, mais la manière dont chacun choisit de l’affronter.

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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