Cambodge : le village des pêcheurs perchés
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À quelques kilomètres de Siem Reap au Cambodge, de son temple d’Angkor Wat et de son flux de touristes, se trouve Kâmpong Khleang, un village perdu sur les bords du lac Tonle Sap et seulement accessible par un chemin de terre bosselé. L’activité entière tourne ici autour de la pêche.
Le choc du dépaysement associé à un niveau de vie précaire éveille une certaine admiration à l’égard de Kâmpong Khleang, ce village entièrement bâti sur pilotis pour parer la montée des eaux en période de mousson. On parvient à cette cité de bois construite comme un mikado après 50 minutes de route en provenance de Siem Reap, la ville des temples cambodgiens. D’abord faite d’asphalte, puis de terre ocre tassée, la route se termine par un chemin de sable que les travailleurs des rizières aux alentours empruntent à vélo sous 40°C. Le vert clinquant des cultures de riz contraste avec la couleur de la poussière environnante et des effets de la sécheresse. L’eau de la rivière et du lac ressemble à une boue liquide dans laquelle chacun tient un rôle clé dans le développement du village. Guidé par deux frères de 14 et 10 ans Un port où cohabitent les bateaux de pêche et de tourisme se profile. Pour découvrir le village, il faut s’acquitter d’un pass peu onéreux qui prône la protection du site et sa conservation. Jade, 14 ans, pilote le bateau à moteur numéro 25792 de 10 mètres qui vous emmène de l’estuaire au lac en traversant le village, Venise du moyen-âge. Sow, son frère de 10 ans, vêtu d’une chemise Louis Vuitton de contrefaçon, l’épaule sans rechigner lorsqu’il doit rattraper à la rame les trajectoires manquées de Jade à l’avant du bateau. Sous la chaleur écrasante, on découvre alors un véritable petit monde où grouillent, femmes, enfants et pêcheurs le long de la rivière. Ici l’usage du filet à plomb reste la panacée. On y retrouve aussi les techniques de pêche « à la volée » ou encore « au piège », qui consiste à contraindre les poissons à fuir vers des casiers installés plus loin en les effrayant à coups de bâtons dans l’eau. D’autres enfants pêchent la crevette à l’épuisette et l’écrevisse sur les bords de rive. Sur la place du village, les femmes ont pour mission d’étaler les crevettes roses récoltées sur une bâche afin qu’elles sèchent et se conservent. Pas d’électricité ni d’eau courante pour la congélation des aliments. Le séchage des récoltes des pêcheurs reste le moyen le plus approprié de conservation. Ce sont les femmes qui se chargent d’empaqueter les crevettes roses dans de lourds sacs auparavant destinés au riz. Leurs rôles consistent aussi à la réparation des filets de pêche et à leurs confections tandis que les enfants commencent dès leur plus jeune âge à se familiariser avec le milieu maritime. Sur les rives, on aperçoit casiers, bateaux, maisons en devenir… Un village entier à 10 mètres de hauteur Sur demande, une mère de famille accepte de faire visiter son habitation de bois. Le dialecte local ne permet pas un échange prolongé mais parfois la simple contemplation en dit plus que les mots. Deux étages composent chaque cabane, le plus haut, à 10 mètres, accueille les dortoirs des parents et enfants. En marchant sur les fines lames de bambou faisant office de sol, on entrevoit très largement l’étage inférieur dédié à la cuisine. En période de mousson les cabanes de bois sont mises à rude épreuve mais les nombreux espaces entre les lames de bambou ne retiennent pas l’eau et permettent une meilleure ventilation de l’habitation. La montée du lac de Tonle Sap est si forte que seulement cinq mètres les séparent du niveau de l’eau en période humide. Le tourisme, restreint mais existant dans cette partie du Cambodge, aide les villageois à diversifier leurs revenus mais accroit également les disparités au sein du village. Les responsables des tours opérateurs gagnent beaucoup mieux leur vie que ceux qui entretiennent l’authenticité du site. Mais aujourd’hui Kâmpong Khleang peut se targuer d’incarner le village le plus densément peuplé du lac en étant paradoxalement le moins touristique du Cambodge. Les anciens villageois entendent ainsi perpétuer leurs traditions aussi longtemps qu’ils vivront. Un avis que la jeune population ne semble pas forcément partager à l’unanimité.