Aurigny, un concentré de curiosités

Par Jean-Yves Réguer

Tout là-haut, entre Guernesey et le Cotentin se trouve Aurigny ou Alderney autrement nommée l’île sauvage comme on désigne l’ile aux fleurs sa voisine du dessous, Jersey.

Au sens propre du terme, est sauvage ce qui est relatif à la forêt. A Alderney, il n’y jamais eu beaucoup d’arbres. Des prunelliers, quelques conifères qui ont bien du mal à prendre de la hauteur. Les quelques arbres séculaires qui avaient survécu aux grands vents chargés de sel ont été abattus par l’occupant allemand entre 1940 et 1945, pour se chauffer.

Au sens figuré, on qualifie de sauvages les personnes ou les lieux fermés, renfermés, ombrageux… Or, quand il ne fait pas soleil dehors, on peut quand même dire qu’il fait beau à Aurigny. Et surtout qu’il fait bon vivre. Si vous vous promenez à pied, des gens s’arrêteront pour vous recommander d’aller jusqu’à telle plage et même de vous y conduire. Vous pouvez aussi louer un vélo ou une voiture. On ne vous demandera que votre permis de conduire. Pas de caution. Quand vous la ramènerez, il sera toujours temps de constater que vous en avez pris soin. Si l’agence de location est fermée, ne verrouillez pas la voiture. Laissez la clé sous le pare-soleil, c’est tout.

Sur la route -on ne peut pas dire les routes- vous croiserez des motards sans casques. S’ils se font arrêter par un des trois policiers de l’île (un policeman et deux policewomen), ils obtempèrent et écoutent la leçon : « Protège-toi, gars. Bon, circule et va doucement ! ».

L’interdiction de fumer dans les lieux publics n’est entrée en vigueur qu’en 2010.

Les sites historiques sont libres d’accès et gratuits. Tout est très bien entretenu, rien n‘est dégradé, rien n’est volé.

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© Jean-Yves Réguer

Sur votre chemin, vous pourrez acheter des œufs et des légumes aux producteurs locaux. Vous vous servez et vous mettez l’argent dans la tirelire.

C’est que depuis la Libération, il n’y a pas beaucoup de contraintes à Aurigny… La limite de la liberté à Aurigny, c’est de n’importuner personne. Le motard sans casque ne sera pas verbalisé, mais s’il fait hurler le moteur de sa bécane, il va… casquer.

Ne cherchez pas de supermarché à Aurigny, ni même de supérette. Il n’y a que des petits magasins, des échoppes d’artisans et deux brocantes, presque tous dans Victoria Street, la rue principale de la seule ville, Sainte-Anne.

Aurigny n’est peut-être pas aussi riche que Guernesey dont elle est une dépendance, mais tout va bien quand même. Grâce au tourisme, grâce aussi aux casinos en ligne qui y ont leur siège, car l’ile est le seul endroit d’Europe où il ne soit pas illégal. Pas de TVA, un impôt sur le revenu de 20 %, soins gratuits.

La population d’Aurigny est de 2000 habitants et reste stable. Les jeunes vont étudier en Angleterre et y restent le plus souvent, au moins quelques années après leurs études. Quelques-uns reviennent, pour s’installer en télétravail. Les sites de jeux en ligne créent des emplois et le tourisme balnéaire remplit l’île de juillet à la mi-août. L’objectif est comme partout de développer le tourisme hors-saison. Il est vrai qu’il ne gèle presque jamais à Alderney, mais les îles anglo-normandes ne sont quand même pas les Baléares… Il reste que chaque coin de la côte est différent chaque jour et même à chaque heure. Alderney, est l’endroit rêvé pour la contemplation, pour le farniente sur les plages jamais bondées, pour la pêche, à la ligne ou à pied.

A la parcourir, on se rend compte quand même que ceux qui y ont vécu n’ont pas toujours trouvé la quiétude… Car c’est là, entre la France et l’Angleterre, qu’a été construite la plus grande forteresse de la terrible histoire des hommes. Des forts ont été bâtis dès l’époque romaine, puis maintenus en état pour prévenir les invasions des Vikings. Les guerres entre l’Angleterre et la France ont conduit les stratèges à entretenir et renforcer les défenses. L’apogée ou plutôt le summum du côté forteresse de l’île est arrivé avec l’armée allemande qui a débarqué en juin 1940. Presque tous les habitants avaient préventivement été évacués vers l’Angleterre par la Royal Navy. Une bonne partie s’était enfuie par ses propres moyens vers Guernesey. A peine 200 autochtones avaient fait le choix de rester sur l’ile. Hitler qui n’écoutait pas ceux qui connaissait la mer, était persuadé que le débarquement anglo-américain se ferait de ce côté du Cotentin. Aussi, pour construire la forteresse, des prisonniers ont été envoyés à Aurigny qui est devenu une annexe du camp de concentration de Neuengamme. Entre 1940 et 1945, 16000 prisonniers russes, français, marocains, allemands aussi (les aryens qui avaient épousé des juives), sont passés par ces camps de travail. 800 en sont revenus vivants… Les Aurignais ne tiennent pas à ce que l’on revienne constamment et en détails sur la période la plus douloureuse de leur histoire. Des historiens anglais soutenus et même financés par des familles de victimes ont voulu faire des recherches sur le sujet. Les pouvoirs publics de l’île se sont opposés à ce que des fouilles soient entreprises. Alderney est en paix depuis 80 ans. Rien ne doit être entrepris qui pourrait raviver des souvenirs douloureux ou troubler le repos éternel des victimes.

Aujourd’hui, Alderney est un espace de liberté, loin de tout mais très accessible par avion, par bateau et j’allais dire par train… On ne pourra jamais aller en train à Alderney, mais on peut y prendre le train. De Sainte-Anne au phare de Mannez à l’extrême ouest de l’île, il y a une ligne de chemin de fer, ouverte le samedi seulement et de mai à octobre. Elle a servi entre 1840 et 1940 à transporter les blocs de granit d’un bout de l’ile à son centre. La seule ligne de chemin de fer de toutes les îles qui jalonnent les côtes de France… C’est à voir, comme tant d’autres curiosités construites par la nature ou bâties par les hommes.

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Pour les plaisanciers qui veulent y aller

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Autant Jersey semble proche et accessible pour les Normands comme pour les Bretons, autant Alderney semble lointaine…

La route maritime pour aller à Fort Braye, le port d’Aurigny, n’est pas si longue pourvu que l’on profite des courants et aussi du vent, bien sûr.

Ce qu’il faut savoir

En général, la mer est plus calme à l’est de Jersey qu’à l’ouest.

Dans la zone, il y a toujours du courant dont la vitesse peut atteindre 10 nœuds. Vous ne pouvez pas ne pas en tenir compte, aussi bien motorisé soit votre bateau.

Par l’ouest, il va falloir prendre le fameux Swinge dit aussi Singe, passage entre Alderney et Burhou avec le courant portant. Si vous avez le vent contre le courant, renoncez. Ce ne sera pas souvent : dans ces parages, les vents d’ouest sont dominants.

Par l’est de Jersey, il y a un passage difficile appelé Violet Bank. C’est plein de cailloux, mais bien balisé et bien hydrographié sur les cartes GPS. Puis en faisant route vers le nord, on traverse les Ecréhous et les Dirouilles. Il faut bien sûr être vigilant dans ces parages et ne pas se laisser distraire par la magie des lieux, mais ce n’est pas piégeux. L’arrivée par Quénard Point avant d’embouquer le chenal qui vous mène dans le port de Fort-Braye est impressionnante parce qu’on voit un peu partout des marmites que forme le courant. Dans le port bien protégé par une digue, tout est calme sauf par vent de nordet. Un coffre vous sera attribué par les autorités portuaires qui viennent à votre rencontre. Il suffit de saisir le bout relié au coffre et de s’amarrer par l’avant et au moyen de ce bout. N’utilisez pas vos propres amarres. Pas d’inquiétude, tout est solide, les longueurs sont calculées comme il convient, personne ne va se toucher. On voit rarement plus simple…

25 livres la nuit. Service de navette à 3 livres le passage si vous n’avez pas d’annexe.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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