La boucle est bouclée et le cycle opérationnel de la Force océanique stratégique (FOST) chamboulé. Alors que la dissuasion nucléaire française veut qu’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) soit en permanence en patrouille quelque part dans l’océan, la guerre en Ukraine a récemment redistribué les cartes. En effet, depuis la fin de la Guerre froide, il était devenu inhabituel de voir plusieurs SNLE en patrouille au même moment. Cependant, l’appareillage d’un second sous-marin de la base de l’Île Longue à la fin du mois de février signifiait déjà un durcissement, sans précédent depuis la fin de la Guerre froide, des relations internationales. Illustrant le passage d’un cap supplémentaire dans les tensions avec la Russie, un troisième SNLE a quitté Brest il y a deux jours.
Pour rappel, la dissuasion nucléaire française repose sur les quatre SNLE de classe Le Triomphant qui peuvent empoter chacun seize missiles balistiques de type M51, chaque vecteur portant dix têtes nucléaires de 100 kilotonnes chacune (voir notre article sur le sujet). Grâce à ces quatre bâtiments, le cycle opérationnel de la FOST en temps de paix ou hors période de crise est parfaitement organisé : sur les quatre SNLE, l’un est en permanence présent à la mer pendant qu’un autre, qui vient de rentrer ou s’apprête à partir en patrouille, reste en alerte pour être capable d’appareiller en quelques heures et qu’un troisième, en arrêt technique, est cependant mobilisable en cas de nécessité moyennant plusieurs jours de préparation. C’est ce dernier sous-marin qui vient de prendre la mer. Enfin, le quatrième bâtiment est au bassin, à Brest, où il est mis en arrêt technique majeur pour une période d’environ deux ans, ce qui le rend indisponible même en cas d’urgence.
Avec trois sous-marins à la mer, la dissuasion nucléaire française a donc atteint sa capacité maximale. Cette manœuvre a deux objectifs principaux : tout d’abord, la Russie ne peut ignorer le départ de nos SNLE, montrant ainsi la détermination de la France dans son soutien à l’Ukraine ; de plus, un sous-marin dilué dans l’océan est une cible quasi-impossible à atteindre contrairement à un bâtiment à quai ou en carénage. Ainsi, avec ce départ, la France vient de multiplier son assurance vie par trois, s’assurant une capacité de riposte trois-cent-vingt fois supérieure à la bombe qui a frappé Hirohima. Aux quarante-huit missiles balistiques français qui se promènent actuellement sous la surface, il faut ajouter les missiles à tête nucléaire de type ASMPA embarqués à bord du porte-avions Charles de Gaulle, qui navigue en ce moment quelque part en Méditerranée orientale, qui peuvent être mis en œuvre par des Rafales Marine dans le cadre d’une frappe pré-stratégique.