Ballet de sous-marins nucléaires en mer : où est encore passé l'Octobre rouge ?

Culture nautique
Par Nicolas Baude

Le dimanche 27 février, le président russe Vladimir Poutine a ordonné de « mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat ». Cette consigne a eu une répercussion immédiate parmi les membres de l’Alliance Atlantique qui se sont à leur tour mis en état d’alerte, faisant monter la tension internationale à un niveau jamais rencontré depuis la fin de la Guerre froide. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ces mouvements de troupes et de matériels ? Risquons-nous vraiment de croiser un périscope lors de nos croisières ? A la rédaction du Figaro Nautisme, nous avons cherché à comprendre pourquoi de plus en plus de bateaux gris et noirs colonisaient notre terrain de jeu ces derniers temps, afin de mieux appréhender les raisons de cette nouvelle situation.

Le sous-marin nucléaire d'attaque de classe Los Angeles USS Colombus effectuant une remontée en surface d'urgence
Le dimanche 27 février, le président russe Vladimir Poutine a ordonné de « mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat ». Cette consigne a eu une répercussion immédiate parmi les membres de l’Alliance Atlantique qui se sont à leur tour mis en état d’alerte, faisant monter la tension internationale à un niveau jamais rencontré depuis la fin de la Guerre froide. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ces mouvements de troupes et de matériels ? Risquons-nous vraiment de croiser un périscope lors de nos croisières ? A la rédaction du Figaro Nautisme, nous avons cherché à comprendre pourquoi de plus en plus de bateaux gris et noirs colonisaient notre terrain de jeu ces derniers temps, afin de mieux appréhender les raisons de cette nouvelle situation.

Qu’est-ce que la dissuasion ?

Mise au point par les américains pendant la Seconde Guerre mondiale, l’arme atomique n’a été utilisée que deux fois en conditions opérationnelles : contre le Japon en ciblant les villes d’Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945. Le traumatisme de ces attaques est resté dans les mémoires et depuis, la possession de bombes nucléaires par une nation est devenue purement dissuasive. Le cercle des puissances nucléaires s’est agrandi rapidement après la Seconde Guerre mondiale. La première bombe soviétique a été testée en 1949, les Britanniques ont obtenu l’arme en 1952 et les Français en 1960. D’autres pays ont, au fur et à mesure des années, rejoint le club très fermé des puissances nucléaires : l’Inde, la Chine, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. Le feu nucléaire a été une menace constante pendant la Guerre froide, les bombes étant de plus en plus puissantes et les vecteurs de plus en plus performants. Cependant, les progrès technologiques font qu’aujourd’hui, la détention d’armes nucléaires n’est plus un élément de terreur suffisant : il faut avoir la capacité de projeter l’arme à n’importe quel moment et dans n’importe quelle situation en pénétrant les défenses de son adversaire. Cette doctrine d’emploi de l’arme atomique revêt aujourd’hui presque plus d’importance que sa simple possession.

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Essai nucléaire américain du 25 juillet 1946 sur l'atoll de Bikini. Le même mois est présenté à Paris un maillot de bain qui fera également l'effet d'une bombe© wikimedia

Sur quoi repose la dissuasion ?

La dissuasion nucléaire peut reposer sur trois composantes : la force terrestre, via des missiles à courte ou longue portée ; la force aérienne, via l’emport d’une bombe par un aéronef ; et enfin la force sous-marine, via l’emport de plusieurs missiles balistiques dans un sous-marin dilué quelque part dans l’océan. Depuis la désaffection du plateau d’Albion au milieu des années 1990 et le retrait du service des missiles Pluton et Hadès, la force de frappe nucléaire française ne repose plus que sur le vecteur aérien et sur le vecteur sous-marin. L’Armée de l’air et la Marine nationale peuvent toutes deux utiliser l’arme atomique depuis leurs aéronefs. L’objectif, par cette mise en œuvre aérienne dont les satellites ennemis ne manqueront pas de remarquer la préparation, est de montrer la détermination de la France durant une guerre. Une frappe nucléaire aérienne serait alors considérée comme préstratégique et constituerait un ultime avertissement avant une frappe massive de missiles balistiques lancés depuis un sous-marin.

Aujourd’hui, la dissuasion nucléaire sous-marine est devenue un élément essentiel pour caractériser une grande puissance militaire. Ainsi sur les six nations capables de concevoir et mettre en œuvre des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), seuls la France, les États-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne ont aujourd’hui la capacité de maintenir une dissuasion permanente à la mer. La Chine et l’Inde aimeraient pouvoir en faire de même, mais si la construction navale chinoise semble progresser suffisamment rapidement pour que ce projet devienne réalité, l’Inde paraît encore loin de cet objectif.

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L'USS Georgia, de la classe Ohio, peut embarquer vingt-quatre missiles balistiques de type Trident

Quels sous-marins pour la France ?

En France, la dissuasion sous-marine naît avec le début de la conception du Redoutable en 1963. L’objectif est alors de s’aligner sur la marine américaine dont l’USS George Washington emporte des missiles Polaris sous l’eau depuis 1960. Si le K-137 soviétique et le HMS Resolution britannique prennent tous les deux la mer en 1967, il faut attendre 1972 pour que le Redoutable effectue sa première patrouille opérationnelle et l’entrée en service en 1976 du quatrième sous-marin de la classe, L’Indomptable, pour que la présence en permanence à la mer d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins français soit assurée. Depuis, cette permanence de la dissuasion nucléaire, menée par la Force océanique stratégique (FOST) ne s’est jamais interrompue. Cependant, alors que la France maintenait en permanence deux, puis à partir de 1982, trois sous-marins à la mer, la dissuasion ne repose plus que sur la présence d’un seul sous-marin dans l’océan depuis la fin de la Guerre froide.

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Le Redoutable, premier SNLE français, se visite aujourd'hui à la Cité de la Mer à Cherbourg© Marine nationale

De la fin des années 1990 à 2010, les six SNLE de la classe Redoutable sont progressivement remplacés par quatre sous-marins de nouvelle génération (SNLE-NG) qui mettent en œuvre le nouveau missile balistique M51, emportant dix têtes nucléaires dont chacune a une puissance équivalente à sept fois la bombe d’Hiroshima. La France dispose de trois séries de seize missiles lui permettant d’armer trois sous-marins à la fois. Les quatre sous-marins sont basés dans une base construite spécialement pour eux au début des années 1970 sur la presqu’île de Crozon, en face de Brest : l’Île Longue. Cette base est depuis cinquante ans le cœur de la dissuasion nucléaire française : c’est là que s’organise le cycle opérationnel de la Force océanique stratégique. Sur les quatre SNLE-NG, l’un d’entre eux est en permanence présent à la mer pendant qu’un autre, qui vient de rentrer ou s’apprête à partir en patrouille, reste en alerte pour être capable d’appareiller en quelques heures et qu’un troisième, en arrêt technique, est cependant mobilisable en cas de nécessité moyennant plusieurs jours de préparation. Enfin, le quatrième sous-marin est au bassin, à Brest, où il est mis en arrêt technique majeur. Cette période d’entretien, qui intervient tous les dix ans, dure environ deux ans.

Comment s’organise une patrouille ?

L’appareillage d’un sous-marin de l’Île Longue nécessite des moyens considérables. En effet, ce départ doit se faire le plus discrètement possible et, avant sa dilution, le bâtiment reste extrêmement vulnérable. Ainsi, des fusiliers marins et des commandos marines patrouillent sur les sentiers littoraux et assurent une protection immédiate en semi-rigides jusqu’à la sortie du goulet de Brest. Afin de vérifier que la zone de plongée est vierge de toute présence, hostile comme alliée, des avions de patrouille maritime, des chasseurs de mines et jusqu’à quatre frégates anti-sous-marines et deux sous-marins nucléaires d’attaque sont chargés de faire le vide autour du sous-marin. Ce dernier va alors disparaître sous la surface pour une patrouille d’environ soixante-dix jours. Durant cette période, seul le commandant connaît précisément la position de son bâtiment qui est acoustiquement plus discret que le bruit renvoyé par le fond de la mer, ce qui le rend indétectable. Le sous-marin ne refera surface au large de Brest qu’une fois la relève partie en patrouille et diluée à son tour dans l’océan.

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Les quatre sous-marins de la classe Triomphant constituent l'épine dorsale de la Force océanique stratégique© Marine nationale

Le SNLE est un solitaire. Naviguant loin des routes maritimes, il fuit toute présence, amie ou ennemie, civile ou militaire, restant caché à tout prix. Durant la mission, l’équipage répète inlassablement le même exercice : le tir de missiles balistiques à têtes nucléaires. Tapi dans les profondeurs de l’océan, le commandant attend l’ordre, ne pouvant émaner que du Président de la République, de tirer. Une fois l’ordre reçu, il coupera toutes ses communications afin que rien ne puisse venir interférer dans le lancement. Tout contre-ordre deviendra alors impossible.

Risquons-nous de voir des missiles balistiques crever la surface de la mer ?

La mise en alerte des forces de dissuasion russe a eu un effet immédiat sur les forces de dissuasion des pays membres de l’Otan. Ainsi en France, alors que la théorie veut qu’un sous-marin soit disponible en permanence pendant qu’un autre est en patrouille, le sous-marin d’alerte a pris la mer à son tour, signe que les tensions avec la Russie sont extrêmement sérieuses. Il y a actuellement sous l’océan un nombre important de SNLE, appartenant d’un côté à la Russie et de l’autre à trois pays membres de l’Otan. Chaque camp s’appuie sur sa dissuasion pour maintenir à l’extérieur de l’Otan et de la Russie un conflit que le Kremlin considère comme une affaire interne et les membres de l’Alliance comme une agression d’un pays souverain.

En France, seul un ordre présidentiel peut déclencher le feu nucléaire. Cependant, la doctrine n’envisage l’emploi de cette arme qu’en cas de légitime défense et de menace des intérêts vitaux de la France, ces intérêts n’étant volontairement pas définis. De plus, la présence en permanence à la mer d’un SNLE-NG et de ses seize missiles balistiques de type M51 pouvant emporter chacun dix têtes nucléaires de 100 kilotonnes chacune permet d’envisager une frappe nucléaire massive même en cas d’anéantissement du pays et de ses moyens de communication. Finalement, dans le contexte de tension actuel, ces armes mortelles cachées quelque part au fond des océans sont la garantie, pour l’Otan, qu’aucun de ses membres ne sera attaqué et, pour la Russie, que les armées étrangères resteront en dehors de l’Ukraine.

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Mis en service du temps de l'URSS, les SNLE du projet Akula (code Otan Typhoon) restent aujourd'hui encore les plus gros sous-marins du monde© wikimedia

Une nouvelle fois, le système de dissuasion devrait permettre, comme si souvent pendant la Guerre froide, de maintenir l’équilibre des puissances dans un conflit qui menace de dégénérer en guerre mondiale. Le caractère solitaire et sauvage du sous-marin fait qu’il fuira les routes maritimes et la présence des plaisanciers. Une rencontre est donc hautement improbable, à moins bien sûr qu’un sous-marin russe n’aille faire une mission de renseignement à la sortie du goulet de Brest ou au large du Cotentin. Prudence donc en plongeant vos lignes, prenez garde à ne pas remonter un gros poisson noir !

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Le K-407 Novomoskovsk, de classe Delta-IV, reste le seul SNLE à avoir tiré l'ensemble de ses seize missiles balistiques en une seule séquence lors d'un exercice en 1991© wikimedia

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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