
Souvent, ces boissons accompagnent la navigation elle-même : à bord, elles réchauffent, hydratent ou apaisent les marins ; à terre, elles scellent les retrouvailles au bistrot du port, la fin d'une régate ou les veillées dans les criques. De la rudesse bretonne aux douceurs asiatiques, de l’anis hellénique au feu mexicain, tour du monde des boissons qui sentent l’écume, le vent... et parfois la canne.
Bretagne : cidre brut et chouchenn, compères de marins
En Bretagne, la mer est partout. Elle tape contre les rochers, modèle le langage... et s’invite dans les verres. Le cidre brut, souvent un peu âpre, accompagne les retours de marée depuis le Moyen Âge. Les pêcheurs en buvaient pour se désaltérer - moins fort que le vin, mais plus vivifiant qu’un simple jus. Il est né dans les terres, mais c’est sur les quais qu’il a trouvé son public : huîtres, galettes, poissons fumés... rien ne lui résiste.
Le cidre était aussi une boisson de bord : les marins bretons en embarquaient dans des tonneaux pour les campagnes de pêche au large de l'Islande ou du Labrador. Moins sujet à tourner que l’eau douce, il constituait une boisson de conservation pratique pour les longues traversées. De nombreux témoignages de marins du siècle dernier évoquent ces "bolées" partagées dans les abris de pêche ou au retour des dragues.
Le chouchenn, lui, est plus ancestral. Fabriqué à partir de miel et parfois renforcé d’un peu de jus de pomme, il a longtemps été considéré comme la "boisson sacrée" des druides, puis des marins. Ceux qui partaient pêcher la morue à Terre-Neuve en emportaient des tonnelets. On lui prêtait des vertus énergétiques, réchauffantes, presque magiques. Certains vieux loups de mer affirmaient même qu’il "gardait le cap" mieux qu’une boussole par mauvais temps. Aujourd’hui, il accompagne les crêpes, les légendes et les nuits longues comme un hiver breton.
Cocktail local : Cidre Royal - cidre brut et crème de cassis, souvent servi en bord de mer dans les crêperies côtières.

Antilles : rhum agricole, ti-punch et flambeau créole
Difficile de dissocier les Antilles de leur rhum agricole, ce spiritueux né du pur jus de canne. Contrairement au rhum industriel produit à base de mélasse, le rhum agricole est une affaire de terroir, de climat... et de mer. Les distilleries se trouvent souvent à quelques centaines de mètres du rivage. L’air marin et les alizés participent à la fermentation. À Capesterre-Belle-Eau, Le François ou Saint-Joseph, on le distille en écoutant les vagues.
Le rhum a toujours eu une place centrale dans la vie maritime antillaise. Il était autrefois embarqué en grande quantité à bord des goélettes qui reliaient les îles entre elles ou naviguaient jusqu’à l’Europe. Les pêcheurs l’utilisaient aussi comme antiseptique, tonique ou coupe-faim. Le ti-punch, ce rituel du quotidien, se boit en regardant l’océan, en lançant un dominos, en attendant les crabes farcis. Sa simplicité cache une profondeur : quelques gouttes de rhum blanc, du sucre de canne (de préférence brun), une tranche de citron vert. Rien d’autre. Pas même de glace, pour ne pas "casser le rhum".
Sur les pontons de Saint-Pierre ou dans les barques de Sainte-Anne, on trouve encore des pêcheurs qui partagent un "ti' sec" avant de lever l’ancre. La boisson fait partie des escales, des retours de pêche, des fêtes maritimes.
Autres cocktails maritimes : Planteur, cocktail de fête, souvent préparé à la louche pour les fêtes de port. Shrubb, liqueur d’orange, de rhum vieux et d’épices, servie en fin d’année sur fond de chants traditionnels.

Grèce : ouzo et mastika, anis et résine au bord de l’eau
Quand on parle de la Grèce maritime, l’image d’un verre d’ouzo posé sur une nappe à carreaux, face à la mer Égée, vient immédiatement à l’esprit. Son goût anisé, puissant, légèrement sucré, a conquis les tavernes, les ports, les familles. Produit principalement à Lesbos, Samos ou Thessalonique, il accompagne depuis toujours les poissons frits, les poulpes séchés au soleil, les anchois marinés.
À bord des caïques, ces bateaux de pêche traditionnels, les marins transportaient des flasques d’ouzo comme monnaie d’échange ou pour offrir lors des escales. L’ouzo coupé d’eau fraîche devient la boisson des longues soirées sur le pont, entre deux îles ou au mouillage. Il aidait à digérer les plats riches et tenait lieu de boisson sociale dans les petits ports. Dans les Cyclades, il est aussi lié aux fêtes religieuses, aux départs de bateaux, aux retrouvailles.
Le mastika, issu du mastic - une résine que l’on récolte sur l’île de Chios - évoque les senteurs de maquis méditerranéen. On dit que les capitaines en offraient à leurs équipages lors des traversées réussies ou qu’ils en buvaient pour calmer les maux de ventre causés par la houle.

Japon : saké, umeshu et l’élégance des ports
Le saké japonais est l’un des alcools les plus liés à son environnement. Fabriqué à partir d’un riz poli et d’une eau d’une pureté exceptionnelle, il dépend directement des sources côtières et du climat local. Dans les villes portuaires comme Hiroshima, Niigata ou Akita, il est souvent sec, net, précis - pour mieux accompagner les fruits de mer crus et les poissons du marché.
Historiquement, les marins japonais embarquaient des jarres de saké pour leurs longues campagnes de pêche au large du Pacifique. Sur les bateaux de pêche au thon, il n’était pas rare qu’une petite cérémonie du saké ait lieu avant le départ, pour assurer une traversée sans encombre. Dans les auberges maritimes (ryokan) ou les bars de quai, le saké symbolise aussi le lien entre la mer, la terre et les hommes.
L’umeshu, liqueur de prune douce et fruitée, est souvent dégusté en apéritif au bord de l’eau, notamment dans les villages du sud comme Kagoshima. Il est apprécié pour ses qualités apaisantes après des journées passées en mer.
Cocktails japonais : Saké tonic ou Yuzu Sour, de plus en plus populaires dans les bars de Tokyo aux influences marines.

Scandinavie : aquavit, brume et grand large
Dans les ports de Norvège, l’aquavit a longtemps été la boisson des pêcheurs de morue et des navigateurs du Nord. Cette eau-de-vie distillée à base de pommes de terre et d’épices (carvi, aneth, coriandre) est puissante, aromatique, et conçue pour tenir chaud.
Son lien au monde maritime est unique : la Linie Aquavit doit son nom à une tradition initiée au XIXe siècle, où chaque fût était chargé à bord d’un navire commercial pour un aller-retour au-delà de l’équateur. Le roulis, l’humidité, la température et l’air salin modifient les arômes. Chaque bouteille porte même le nom du bateau et la date du passage de la ligne. Une tradition qui parle aux plaisanciers autant qu’aux capitaines au long cours.
Dans les ports de Bergen ou Tromsø, l’aquavit est encore offert aux marins avant de prendre la mer lors des grandes pêches hivernales.
À tester : Nordic Mule, pour une version plus fraîche et moderne.

Madère : poncha et héritage d’écume
À Madère, la poncha est partout. Cette boisson rustique, à base de rhum de canne, de miel et de citron, se boit dans les ports, dans les montagnes, après le travail, avant le dîner, ou même au petit matin pour >. Elle serait inspirée d’une boisson indienne, arrivée sur l’île avec les marins portugais au XVIe siècle, puis adaptée aux produits locaux.
Dans les ports comme Câmara de Lobos, les pêcheurs de sabre noir - l’un des métiers les plus périlleux de l’île - consomment la poncha après leur retour de mer, pour se réchauffer et reprendre des forces. On dit qu’elle protège du mal de mer et donne du courage. Le mexelote, petit pilon en bois pour la préparer, est un objet du quotidien dans les ports.
Versions modernes : poncha à la passion, à la tangerine ou à la banane.

Mexique : raicilla et côte sauvage
La raicilla, longtemps clandestine, est produite artisanalement à partir d’agaves sauvages dans les montagnes de Jalisco, non loin de la côte pacifique. Distillée dans des fours en pierre, elle garde un goût fumé et terrien, avec parfois une pointe iodée.
Autrefois utilisée par les pêcheurs comme boisson fortifiante ou remède contre les infections, elle est revenue sur le devant de la scène dans les ports bohèmes comme Sayulita ou Puerto Vallarta. Là, elle accompagne les couchers de soleil sur les plages, les ceviches encore salés, ou les retours de surf - nouvelle forme de navigation côtière.
À découvrir : Raicilla Sour, intense, mais bien balancé.

Italie : limoncello et lumière dorée
Sur la côte amalfitaine, à Sorrente ou à Capri, le limoncello est né là où les citronniers descendent jusqu’à la mer. Les zestes, gorgés d’huiles essentielles, sont macérés dans de l’alcool pur, puis adoucis avec un sirop. Le résultat : une explosion de fraîcheur, idéale après un plat de poisson ou une baignade.
Servi dans les petits ports italiens après les repas de bord, il fait partie des traditions de la dolce vita maritime. On en trouve dans les réfrigérateurs des voiliers de croisière, où il attend sagement le coucher de soleil pour être dégusté face à l’horizon.
En cocktail : Limoncello Spritz, pour prolonger l’apéritif jusqu’au coucher du soleil.
De toutes ces côtes, de tous ces rivages, surgissent des boissons qui ne sont pas seulement là pour accompagner un plat : elles incarnent un rythme de vie. Qu’on soit dans une crique grecque, sur un ponton breton ou face au Pacifique mexicain, on retrouve dans ces alcools le reflet de la mer : imprévisible, généreuse, parfois rude, toujours vivante. À l’image de la navigation elle-même.
"L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération"