
Une enfance au bord de l’Atlantique
Né vers 1469 à Sines, dans une modeste bourgade du sud du Portugal, Vasco de Gama grandit entre deux mondes : la terre et l’océan. Fils d’Estêvão de Gama, petit noble et gouverneur local, il est bercé par les récits d’explorateurs. À cette époque, le Portugal est à l’avant-garde de l’exploration maritime, avec des figures comme Henri le Navigateur et Bartolomeu Dias. À Évora, Vasco reçoit une formation en mathématiques, astronomie et navigation, des disciplines cruciales pour braver les océans.
Son tempérament est connu : intelligent, mais autoritaire, austère, parfois brutal. Lorsque Bartolomeu Dias ouvre la voie en franchissant le cap de Bonne-Espérance en 1488, le roi Manuel Ier rêve d’aller plus loin : percer jusqu’aux Indes, contourner les intermédiaires arabes et vénitiens qui contrôlent le lucratif commerce des épices. Ce pari immense, il le confie à de Gama.
La grande aventure vers l’inconnu
Le 8 juillet 1497, quatre navires et environ 200 hommes quittent Lisbonne. Parmi eux, des marins aguerris, des prêtres, des marchands - et l’inconnu comme seule certitude. L’expédition longe la côte africaine, contourne le cap Vert, puis ose une longue traversée de l’Atlantique Sud pour éviter les courants contraires.
En novembre, ils atteignent le cap de Bonne-Espérance, redoutable barrière de tempêtes et de récifs. Pour beaucoup, c’est déjà un miracle. Mais le plus dur reste à faire. La côte est africaine leur réserve un accueil tendu : au Mozambique et à Mombasa, les Portugais sont perçus comme des intrus ; à Malindi, enfin, la chance sourit. Le sultan leur fournit un pilote de génie, sans doute un Indien ou un Arabe, qui connaît les vents de mousson et guide la flotte vers l’Inde.
Le 20 mai 1498, l’expédition accoste à Calicut, centre névralgique du commerce indien. Sur les quais, les épices embaument l’air, les marchands affluent, les regards se croisent entre curiosité et méfiance. Le zamorin (souverain local) reçoit de Gama avec intérêt. Mais très vite, les malentendus s’accumulent.
Les cadeaux portugais, dérisoires face aux trésors locaux, suscitent les moqueries. Les marchands arabes, déjà installés, orchestrent la défiance. Après des semaines de tractations incertaines, de Gama décide de repartir, lesté d’un maigre butin mais riche d’un exploit sans précédent.
Le chemin du retour est un calvaire. Les hommes meurent du scorbut (une maladie due à une carence en vitamine C), les tempêtes déchirent les voiles, les vivres s’épuisent. Sur 170 marins, seuls 55 survivent à l’enfer. Mais l’essentiel est là : la route des Indes est ouverte.

Le retour triomphal et la soif de domination
À Lisbonne, c’est l’euphorie. Vasco de Gama est couvert d’honneurs, nommé Amiral des Indes, et anobli. Pourtant, l’aventure n’en est qu’à ses débuts. Le roi veut plus : établir des comptoirs, imposer la domination portugaise.
En 1502, de Gama repart à la tête de 20 navires. Cette fois, fini les négociations hésitantes. Il bombarde Calicut, impose des traités, prend des otages, installe des garnisons à Cochin et Cannanore. Les Portugais inaugurent ainsi une nouvelle ère : celle de l’empire maritime européen en Asie.
Mais l’homme derrière la légende reste complexe. Vasco de Gama, héros pour Lisbonne, est vu en Orient comme un conquérant brutal. Sa deuxième expédition laisse derrière elle un sillage de violence. Pendant vingt ans, il se retire, riche et puissant, tandis que le Portugal bâtit un empire sur les mers.
Un dernier voyage et l’héritage de Vasco de Gama
En 1524, vieux et malade, Vasco de Gama accepte une dernière mission. Nommé vice-roi des Indes par Jean III, il est chargé de remettre de l’ordre dans des colonies rongées par la corruption. Mais le temps l’a usé. À peine débarqué à Cochin, il meurt à Noël, le 24 décembre 1524.
Son corps, d’abord enterré sur place, est rapatrié en 1539 au Portugal, où il repose aujourd’hui au monastère des Hiéronymites, à Lisbonne. Son nom reste gravé non seulement dans les monuments - comme le pont Vasco de Gama inauguré en 1998 à Lisbonne - mais dans la mémoire mondiale.

L’exploit de Vasco de Gama a transformé l’histoire : il a déplacé le centre de gravité du commerce mondial, déclenché la compétition entre puissances européennes et ouvert un chapitre de conquêtes, mais aussi d’échanges et de métissages culturels. Derrière l’audace se cache aussi l’ombre : celle de la violence, de la domination, de l’intrusion européenne en Asie.
Cinq siècles plus tard, Vasco de Gama fascine toujours. Héros pour les uns, prédateur pour les autres, il incarne l’ambivalence de l’âge des découvertes : un monde qui s’élargit à coups d’exploits - et de ruptures.