
Un pari contre les vents... et contre son pays
Le pari est risqué. En 1494, le traité de Tordesillas a partagé le monde entre l’Espagne et le Portugal. Les routes vers l’Est - et donc vers les Moluques, d’où viennent les clous de girofle, la muscade, et d’autres trésors - sont verrouillées par Lisbonne. Mais Magellan en est convaincu : une autre voie existe, par l’Ouest. Il veut la prouver - non seulement pour briser le monopole portugais, mais aussi, peut-être, pour prouver à son roi natal qu’il a eu tort de le mépriser.
Car avant d’être un explorateur, Magellan est un homme blessé. Après des années de service dans la flotte portugaise, il a été écarté, humilié, privé de reconnaissance. C’est donc sous pavillon espagnol qu’il va tenter la plus grande traversée maritime jamais imaginée.
Le passage, le froid et l'inconnu
Pendant plus d’un an, la flotte longe la côte de l’Amérique du Sud à la recherche d’un passage. Plusieurs mutineries éclatent. Magellan, autoritaire et implacable, les écrase sans pitié. Ce n’est qu’en octobre 1520 qu’un étroit couloir d’eau, battu par des vents glacés, s’ouvre enfin devant eux : le détroit qui portera son nom. Ce passage vers un nouvel océan - qu’il baptise "Pacifique", en raison de son apparente tranquillité - ouvre une porte vers un monde inconnu.
Mais ce calme est trompeur. La traversée du Pacifique sera l’une des plus terribles épreuves de l’expédition. Pendant trois mois, sans terre en vue, les hommes survivent en mâchant du cuir bouilli et en buvant l’eau croupie. Le scorbut décime l’équipage. On mange des rats. Les marins, hagards, deviennent des ombres.

En mars 1521, ils atteignent enfin les îles Philippines. Là, Magellan tente ce qu’aucune carte n’explique : convertir les peuples indigènes au christianisme pour mieux les rallier à l’Espagne. Mais sa diplomatie musclée tourne court. Le 27 avril 1521, sur la plage de Mactan, il s’avance trop loin, trop confiant, pour affronter un chef local nommé Lapu-Lapu. Il y trouve la mort, transpercé par des lances. Ironie du sort : l’homme qui voulait faire le tour du monde ne le finira jamais.
Le retour d’Elcano, la gloire posthume
Un seul navire - le Victoria - parvient à rentrer en Espagne, un an plus tard, avec seulement 18 survivants. À sa tête : Juan Sebastián Elcano, qui prend le relais après la mort de Magellan. Ensemble, ils ont bouclé la boucle, traversé trois océans, et prouvé que la Terre est bien ronde, connectée par une mer unique. L’exploit est immense.
Et pourtant, le nom qui restera à jamais gravé dans les cartes, dans les livres et dans les mémoires, c’est celui de Fernand de Magellan. Non pas parce qu’il a terminé le voyage - mais parce qu’il en a eu l’idée, la vision, et le courage. Parce qu’il a osé là où d’autres doutaient. Parce qu’il a misé sa vie sur un pari contre l’horizon.

Magellan, sans le savoir, ouvre une ère. À sa suite, d’autres tenteront l’aventure autour du globe : Francis Drake, corsaire anglais, bouclera le tour du monde dans les années 1570. Louis-Antoine de Bougainville, James Cook, Jean-François de La Pérouse... tous navigueront dans son sillage, armés de meilleurs instruments, mais portés par la même soif de découverte, la même volonté d’aller plus loin.
En défiant les mers inconnues, Magellan a montré que le monde était plus vaste que les cartes - et surtout, qu’il était possible de le traverser.