
Sept espèces, une même fragilité
Depuis plus de 100 millions d’années, elles peuplent les océans. Les tortues marines, témoins d’un lointain passé, appartiennent à un club très restreint : seulement sept espèces au monde, toutes aujourd’hui en péril.
La plus imposante, la tortue luth (Dermochelys coriacea), peut atteindre jusqu’à deux mètres et peser près de 700 kilos. Elle est aussi la seule à ne pas avoir de carapace dure, mais un cuir souple et strié qui lui permet de plonger à plus de 1000 mètres de profondeur. À l’inverse, la tortue verte (Chelonia mydas), reconnaissable à sa carapace brun-olive et à son régime strictement herbivore à l’âge adulte, est prisée pour sa chair, ce qui en fait une cible du braconnage dans certaines régions tropicales.
En Méditerranée, c’est la tortue caouanne (Caretta caretta) qui domine. Elle affectionne les côtes grecques, chypriotes, mais aussi turques pour y pondre ses oeufs. Plus discrète mais tragiquement célèbre, la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) est connue pour ses écailles aux reflets ambrés, prisées pour fabriquer le tristement célèbre "bekko", matière utilisée dans les bijoux et objets décoratifs. Elle est l’une des plus gravement menacées.
Les trois autres espèces - la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea), la tortue de Kemp (Lepidochelys kempii) et la tortue à dos plat (Natator depressus) - ont chacune leurs particularités : la première est la plus abondante mais n’échappe pas aux menaces, la deuxième est la plus rare et en danger critique d’extinction, tandis que la dernière, endémique d’Australie, reste mystérieuse en raison de sa discrète répartition.
Réparties sur tous les océans du globe, ces espèces dépendent d’un équilibre fragile entre mer et terre, chaque femelle retournant sur les plages de sa naissance pour y enfouir ses oeufs, souvent à quelques mètres près. Une carte de leur répartition mondiale dessine un réseau délicat de routes migratoires aujourd’hui semées d’embûches.

Les plus menacées : un classement préoccupant
La liste rouge de l’UICN, référence internationale pour l’évaluation de la biodiversité, est formelle : toutes les espèces de tortues marines figurent sur sa liste, dans des catégories allant de "vulnérable" à "en danger critique".
La tortue imbriquée et la tortue de Kemp, notamment, inquiètent particulièrement les scientifiques. La première a vu ses populations chuter de plus de 80 % en un siècle. La seconde, qui ne pond presque exclusivement qu’au large du golfe du Mexique, est si rare que chaque ponte collective - ou arribada - est surveillée de près par des équipes de conservation. Le braconnage, malgré les interdictions internationales, continue de décimer les effectifs. La carapace devient bijou, la chair se vend au marché noir, les oeufs sont considérés comme aphrodisiaques dans certaines cultures.
Mais ce n’est pas tout. Le plastique, omniprésent dans les océans, est une menace silencieuse. Des sacs flottants, confondus avec des méduses, peuvent boucher l’intestin d’une tortue en quelques jours. Une étude de la Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO) a montré que l’ingestion de seulement 14 morceaux de plastique suffisait à tuer une tortue sur deux.
Des menaces d’origine humaine
Derrière la disparition progressive de ces géantes marines, un coupable unique : l’humain.
La pollution plastique est en tête. Chaque minute, l’équivalent d’un camion poubelle est déversé dans les mers. Les hydrocarbures, eux, intoxiquent les plages de ponte ou contaminent les oeufs. Mais c’est aussi dans les filets de pêche que les tortues rencontrent la mort : chaque année, des milliers d’entre elles se noient après s’être empêtrées dans les engins de pêche non sélectifs.
Le tourisme, s’il n’est pas bien encadré, se transforme lui aussi en menace. Les plages transformées en discothèques estivales perturbent les femelles pendant la ponte. Les flashs, les pas, les parasols plantés n’importe où, tout cela peut suffire à détourner une tortue de sa mission de reproduction. Et que dire des infrastructures en béton qui grignotent les rivages ? L’urbanisation bloque l’accès aux zones de nidification.
À cela s’ajoute le changement climatique. La température du sable détermine le sexe des nouveau-nés : plus le sable est chaud, plus les femelles sont nombreuses. À terme, cela pourrait déséquilibrer les populations. Certaines plages de Floride produisent déjà plus de 90 % de femelles...

Des actions et de l’espoir
Face à ce constat alarmant, des efforts de conservation existent - et ils portent leurs fruits lorsqu’ils sont soutenus. Des réserves marines, comme celle des Galápagos ou des Seychelles, offrent des zones de répit où les tortues peuvent nager et pondre sans être dérangées. Des programmes de suivi par satellite permettent de mieux comprendre leurs déplacements, essentiels pour adapter les mesures de protection.
En France, plusieurs structures s’impliquent activement. Le Centre d'Études et de Soins pour les Tortues Marines de Guadeloupe recueille les tortues blessées, les soigne, les bague et les relâche. Le programme PELAGIS, basé à La Rochelle, recense les échouages et suit les populations. L’Ifremer, de son côté, participe à la recherche sur les impacts de la pollution marine. Et les citoyens ? Ils ont un rôle crucial. Sur la plage, un comportement respectueux peut faire toute la différence : éviter de marcher sur les nids, ne pas laisser traîner ses déchets, signaler la présence de tortues aux autorités locales. En mer, garder ses distances et réduire sa vitesse limite les collisions.
Car sauver les tortues marines, ce n’est pas seulement préserver des animaux charismatiques. C’est aussi protéger un indicateur de la santé de nos océans. Et il n’est pas trop tard.